Jurisprudences
L’intervention du père biologique d’un enfant placé en vue d’une adoption plénière est irrecevable
Cass. Civ. 1ère, 11 sept. 2024, n°22-14 490
Enfants – Filiation et adoption
Enseignement de l'arrêt
La cour de cassation rappelle que l’article 352-2 du code civil empêche la restitution de l’enfant à sa famille biologique après son placement en vue de l’adoption. L’intervention des parents biologiques peut constituer une ingérence dans le droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’adoption plénière
L’adoption plénière confère au parent adoptant une autorité parentale complète sur l’enfant adopté, de manière équivalente à celle qu’un parent biologique exerce sur son enfant.
Elle entraîne la rupture des liens juridiques entre l’enfant et sa famille d’origine.
Les conditions de l’adoption plénière
Pour qu’une adoption plénière soit prononcée, plusieurs conditions doivent être réunies :
Conditions relatives à l’adoptant
En présence d’un seul adoptant, les conditions sont les suivantes (article 343-1 Code civil) :
- être âgé de plus de 26 ans sauf en cas d’adoption de l’enfant de son conjoint, partenaire ou concubin (article 343-2 Code civil.),
- si l’adoptant est marié ou pacsé, obtenir le consentement de son conjoint ou de son partenaire.
En présence d’un couple adoptant, les conditions sont les suivantes (article 343 Code. civil):
- être mariés (non séparés de corps) ou, depuis la loi du 21 février 2022, pacsés ou concubins. Les membres du couple peuvent être de sexe différent ou de même sexe,
- avoir plus de 26 ans ou être en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune depuis au moins 1 ans.
Conditions relatives à l’enfant
Les enfants concernés sont :
- les pupilles de l’État (enfants sans filiation connue ou établie, orphelins sans famille, abandonnés, enfants remis à l’ASE par les parents ou après retrait total de l’autorité parentale) pour lesquels le conseil de famille des pupilles de l’État a consenti à l’adoption,
- les enfants ayant été judiciairement déclarés délaissés (abandonnés),
- les enfants dont les père et mère (ou le conseil de famille en cas de tutelle) ont valablement consenti à l’adoption.
L’enfant de plus de 13 ans doit consentir expressément à son adoption. Ce consentement est recueilli par le juge. Pour les enfants de moins de 13 ans, l’adoption peut se faire sans leur consentement, mais l’avis de l’enfant est tout de même pris en compte s’il est capable de discernement.
Consentement des parents biologiques ou tuteurs :
Les parents biologiques doivent consentir à l’adoption, sauf en cas d’impossibilité légale de consentir (par exemple, en cas de disparition, ou de décision judiciaire déclarant l’enfant pupille de l’État).
La recevabilité de la demande d’adoption plénière et les motifs d’opposition
La demande d’adoption plénière doit être introduite devant le tribunal judiciaire compétent, généralement celui du domicile de l’adoptant. La procédure comprend plusieurs étapes :
- la demande est faite par requête déposée auprès du tribunal, souvent après une période d’accueil de l’enfant chez l’adoptant,
- le juge examine la demande d’adoption, notamment les conditions d’accueil de l’enfant, la situation des parents biologiques (leur consentement ou incapacité de consentir), ainsi que la stabilité du lien entre l’adoptant et l’enfant,
- un rapport est souvent demandé à l’ASE, qui évalue la situation de l’enfant, de l’adoptant et de l’environnement familial.
L’adoption plénière peut être contestée, notamment dans les cas suivants :
- si l’un des parents biologiques ou les deux refusent, l’adoption plénière peut être refusée, sauf dans des situations particulières où l’autorité judiciaire constate que l’enfant est en danger ou qu’il existe un motif grave (par exemple, des abus),
- si l’enfant est âgé de plus de 13 ans et refuse l’adoption, l’adoption ne peut pas être prononcée.
Les effets de l’adoption plénière
L’adoption plénière a des conséquences juridiques importantes :
- l’adopté perd tout lien juridique avec ses parents biologiques, sauf en ce qui concerne la succession. L’adopté acquiert un nom et une filiation légale par rapport à l’adoptant, ainsi que tous les droits et devoirs associés,
- l’adopté bénéficie des mêmes droits successoraux que les enfants biologiques de l’adoptant
Analyse de l’arrêt
Faits et procédure
Un enfant naît sous le secret de l’accouchement le 23 octobre 2016. Sa mère demande que l’anonymat soit respecté, et l’enfant est immédiatement prise en charge par les services de l’État, devenant un « pupille de l’État ».
Le 24 décembre 2016, elle est définitivement placée.
Le 10 janvier 2017, le conseil de famille des pupilles de l’État donne son accord pour son adoption et une décision de placement est prise. L’enfant est remise au foyer du couple d’adoptant.
Le 15 février 2017, le père biologique entreprend des démarches pour retrouver l’enfant et le reconnaît le 12 juin 2017.
Le couple d’adoptant dépose une requête pour une adoption plénière le 9 mai 2017, mais celle-ci est rejetée par jugement du 17 mai 2018, en raison de l’intervention du père biologique. Le couple d’adoptant fait appel de ce jugement.
La cour d’appel déclare irrecevable l’intervention volontaire du père biologique, soulignant qu’il n’a plus de lien de filiation avec l’enfant depuis son placement en vue de l’adoption. Elle précise que la demande d’adoption doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et constate que l’enfant a développé un lien affectif irréversible avec ses parents adoptifs. Le tribunal juge que l’intérêt de l’enfant prévaut sur les droits du père biologique et rejette son intervention.
Position de la Cour de cassation
La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel.
Elle rappelle que l’article 352-2 empêche toute restitution de l’enfant à sa famille biologique après son placement en vue de l’adoption.
« Le placement en vue de l’adoption plénière fait obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance. Si le placement en vue de l’adoption cesse ou si le tribunal refuse de prononcer l’adoption, les effets de ce placement sont rétroactivement résolu. »
En l’espèce, la filiation biologique est effacée dès l’immatriculation de l’enfant comme pupille de l’État. La Cour précise que l’intervention du père biologique dans la procédure d’adoption est limitée dès lors que le lien de filiation a été rompu.
La Cour de cassation reconnaît que l’intervention des parents biologiques peut constituer une ingérence dans le droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette ingérence doit être justifiée par des motifs légitimes, notamment la protection de l’enfant.
En l’espèce, la Cour considère que la décision de rejeter l’intervention du père biologique ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à ses droits, car l’intérêt de l’enfant à rester dans sa famille adoptive prime sur le lien biologique.
La Cour rappelle également que l’adoption plénière ne prive pas l’enfant de la possibilité de connaître ses origines, si l’enfant le souhaite, dans un cadre respectueux de son âge et de ses besoins émotionnels.
Elle considère que le père biologique n’a aucun lien de filiation avec l’enfant, puisque l’enfant a été déclaré pupille de l’État et a été placé en vue d’une adoption avant qu’il ne la reconnaisse devant l’Officier d’état civil, de sorte qu’il n’a pas qualité à agir.