Jurisprudences
L’appréciation du caractère excessif des primes des contrats d’assurance-vie – Précision de la Cour de cassation
Cass. civ. 1ère, 2 mai 2024, n°22-14.829
Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions
Enseignement de l'arrêt
Les critères d’appréciation du caractère excessif des primes versées sont cumulatifs : les juges du fond prennent en considération le montant des primes et les facultés du souscripteur, mais aussi l’utilité de l’opération pour ce dernier, compte tenu de son âge, de sa situation patrimoniale et familiale, etc.
Rappels du mécanisme du contrat d’assurance-vie
L’assurance-vie est un contrat par lequel l’assureur s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une rente ou un capital au bénéficiaire. L’assurance-vie est dans le même temps un produit d’épargne à moyen ou long terme.
La particularité de l’assurance-vie, qui contribue à son attractivité, est que le capital ou la rente payable en cas de décès ne font pas partie de la succession du défunt et les règles du droit des successions ne sont pas applicables.
Le capital ou la rente payable à un bénéficiaire déterminé au décès du contrat ne sont donc soumis ni au rapport ni à la réduction de succession.
Toutefois, ce principe posé à l’article L132-12 du Code des assurances comporte des exceptions :
- Si le bénéficiaire n’est pas déterminé, le capital ou la rente garantis font partie du patrimoine ou de la succession du contractant,
- Si le montant des primes versées par le souscripteur est manifestement exagéré eu égard des facultés du contractant, ces primes seront rapportables à la succession et réductibles.
« Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré. »
« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.
Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».
L’appréciation du caractère excessif des primes versées
Cadre juridique de la détermination du caractère excessif des primes sur le contrat d’assurance-vie
L’article L132-13 alinéa 2 du Code des assurances prévoit que l’appréciation du caractère exagéré des versements s’apprécie au regard des facultés du contractant.
Dès lors, à défaut de précision du législateur sur les éléments permettant d’apprécier le caractère exagéré ou non des versements, ce dernier relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Les magistrats se réfèrent à trois critères principaux :
- l’importance de la prime,
- l’âge du souscripteur,
- le mobile du versement.
Ces critères d’appréciation du caractère excessif sont cumulatifs.
Pour la Cour de cassation, le caractère exagéré des primes est déterminé par rapport à l’ensemble des facultés du souscripteur et notamment « au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat pour ce dernier » (Cass, 1ère civ, 19 mars 2014 n°13-12076).
Il résulte de cette construction des juges deux critères principaux qui déterminent l’exagération manifeste : l’importance de la prime versée au regard du patrimoine du souscripteur (critère quantitatif) et l’utilité du versement effectué par rapport à la situation (critère qualitatif).
Etude des critères quantitatifs
Afin de déterminer le caractère excessif des primes versées par le souscripteur, les juges du fond prennent en compte l’ensemble des biens de ce dernier. Ils procèdent à un contrôle de proportionnalité en faisant une analyse globale de la situation patrimoniale (fortune et revenus) et familiale (charges) du souscripteur.
Ainsi, a été jugé excessif le versement d’une prime de 100 000 euros provenant de la vente d’un bien appartenant en propre au souscripteur et représentant 40% de son patrimoine, le contrat ayant été souscrit le jour où l’assuré avait appris l’issue fatale à très brève échéance de sa maladie (cour d’appel de Paris, 22 février 2011 n°08/07086).
Les critères qualitatifs
Le critère essentiel analyse l’utilité du contrat pour le souscripteur, son âge et son état de santé.
Il s’agit ici de s’interroger sur les intentions du souscripteur en appréciant le contexte et les circonstances dans lesquelles les primes ont été versées afin de déterminer si ces dernières sont manifestement excessives.
La date d’appréciation du caractère excessif des primes versées
Le caractère manifestement exagéré des primes eu égard aux facultés du contractant doit s’apprécier au jour du versement et non à la date de la souscription du contrat ou à celle du décès du souscripteur (Cass, 1ère civ, 12 novembre 2009 n°08-20443 et 08-20541).
Cette jurisprudence n’est pourtant pas nouvelle ! Le travail de l’avocat spécialisé en droit des successions a toujours été de reconstituer avec son client le patrimoine du souscripteur à toutes les périodes concernées pour chaque versement.
Un premier critère dans l’appréciation de la situation du souscripteur, est l’étude des moyens de subsistance au regard des charges normales qui pèsent sur lui au jour du versement de la prime.
Ainsi, si au jour du versement des primes les revenus du souscripteur sont insuffisants pour faire face aux dépenses et aux charges courantes alors l’exagération manifeste est retenue (Cass, 1ère civ 2 mai 2024 n°22-14829).
Cependant, cette situation d’insuffisance pour payer ses proches charges est un cas quasi-caricatural. Il n’est évidemment pas nécessaire que le souscripteur se soit retrouvé dans une telle situation pour obtenir la requalification des primes comme manifestement exagérées. Le cabinet a maintes fois obtenu cela dans des cas où le souscripteur était par ailleurs assez fortuné.
Cet arrêt récent de la Cour de cassation précise également que le juge doit rechercher le caractère excessif en procédant de cette façon pour chacune des primes et non de manière globale. Là encore, rien de nouveau et il est étonnant qu’il ait fallu monter jusqu’à la Cour de cassation pour voir réitérer ce principe.
Les conséquences du caractère excessif des primes versées
En cas de primes manifestement exagérées, les règles du droit des successions s’appliquent : le capital ou la rente payable au bénéficiaire seront donc soumis au « rapport » à la succession et/ou à la réduction si les primes versées portent atteinte à la réserve des héritiers réservataires.
Les dispositions de l’article L132-13 du Code des assurances peuvent être invoquées par les héritiers du souscripteur, mais également par toute personne ayant intérêt à voir les primes réintégrées dans la succession.
Concernant le montant à réintégrer, certaines décisions ont validé que le rapport porte seulement sur la partie excessive des primes versées mais une jurisprudence dominante semble retenir que l’intégration concerne la totalité des primes payées (Cass, 1ère civ, 1er juillet 1997 n°95-15674). Notre cabinet considère que le choix entre ces deux conséquences ne relève pas de la question de principe mais d’une appréciation globale de la volonté du souscripteur, du calendrier des paiements etc. une étude de fond est nécessaire.
Afin d’éviter la remise en cause du montant des primes d’assurance-vie, il peut être intéressant de faire un bilan patrimonial avant toute souscription de contrat ou du versement de prime pour contrôler le montant des primes par rapport à la situation globale du souscripteur.
Il peut également être nécessaire de connaître les motivations et le but poursuivi par le souscripteur et être vigilant concernant la souscription d’un contrat d’assurance-vie à un âge avancé.