« La tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l’attaque.
Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique, pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit. »
Jurisprudences
Filiation - La tierce opposition à un jugement d’adoption
CA Montpellier, 15 nov. 2024, n°24.05595
Enfants – Filiation et adoption
Enseignement de l'arrêt
La recevabilité de la tierce opposition à un jugement d’adoption pour dol est recevable dès lors que l’adoptant a dissimulé la réalité de la conception de l’enfant au juge la requête en adoption au père biologique qui souhaitait reconnaitre l’enfant.
La renonciation du père biologique à l’établissement de sa filiation n’est pas pris en compte au regard du principe d’indisponibilité de l’état des personnes.
La tierce opposition en matière d’adoption plénière
Définition
La tierce opposition est définie par l’article 582 du Code de procédure civile, et permet à un tiers qui a un intérêt à défendre ses droits, de faire à nouveau juger les dispositions du jugement qui lui font grief.
En matière d’adoption, la tierce opposition est prévue par l’article 353-2 du Code civil, mais se limite à des cas de dol ou de fraude de la part des adoptants, ou conjoint de l’adoptant.
« La tierce opposition à l’encontre du jugement d’adoption n’est recevable qu’en cas de dol ou de fraude imputable aux adoptants ou au conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin de l’adoptant.
Constitue un dol au sens du premier alinéa la dissimulation au tribunal du maintien des liens entre l’enfant adopté et un tiers, décidé par le juge aux affaires familiales sur le fondement de l’article 371-4, ainsi que la dissimulation au tribunal de l’existence d’un consentement à une procédure d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et, le cas échéant, d’une reconnaissance conjointe tels que prévus au chapitre V du titre VII du présent livre. »
Condition
Pour être recevable, la tierce opposition doit réunir plusieurs critères.
Le tiers doit être une personne qui a un intérêt à former tierce opposition, mais qui n’a pas été représenté ou partie au jugement remis en cause, comme le prévoit l’article 583 du Code de procédure civile.
« Est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque. Les créanciers et autres ayants cause d’une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres.
En matière gracieuse, la tierce opposition n’est ouverte qu’aux tiers auxquels la décision n’a pas été notifiée ; elle l’est également contre les jugements rendus en dernier ressort même si la décision leur a été notifiée. »
En application de l’article 585 du Code de procédure civile, tous les jugements sont susceptibles de tierce opposition.
« Tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n’en dispose autrement. »
En matière d’adoption, la tierce opposition n’est possible qu’en cas de fraude ou de dol.
La fraude est caractérisée dès lors que :
- elle est commise par les adoptants à l’égard du tiers,
- elle constitue une fraude à la loi ou une fraude à l’adoption,
Le dol est caractérisé par la tromperie ou une manœuvre qui a pour finalité de permettre l’adoption.
Dans tous les cas, la fraude ou le dol doivent être commis directement par l’adoptant ou son conjoint, et ne peut donc pas venir d’un tiers.
Apport de l’arrêt
Reprise des faits et de la procédure
Un couple de femmes se marie en 2017 et souhaite mettre en œuvre leur projet parental. Elles font appel à un donateur sur Facebook, ce qui leur permet de donner naissance à deux enfants.
Seul le second enfant est reconnu par le père biologique qui bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement.
Le premier enfant ne fait l’objet d’aucune reconnaissance paternelle même si le père biologique entretient des liens avec lui, notamment par le biais de rencontres et d’échanges.
En 2018, la conjointe de la mère du premier enfant forme une requête pour une adoption plénière du premier enfant alors âgé de 2 ans.
Le père biologique est informé de la requête en adoption plénière seulement en 2019 et forme avec sa mère une tierce opposition le 16 mars 2020, rejeté par le Tribunal judiciaire de Montpellier le 23 novembre 2023, au motif que la tierce opposition est irrecevable.
Ils interjettent appel de la décision et demandent à la Cour d’appel d’annuler le jugement d’adoption plénière.
Position de la Cour d’appel
Dans son arrêt, la Cour d’appel de Montpellier déclare recevable la tierce opposition et prononce l’annulation du jugement d’adoption plénière en retenant notamment l’intérêt supérieur de l’enfant et en rappelant le principe d’indisponibilité de l’état des personnes.
La recevabilité de la tierce opposition
L’article 353-2 du Code civil prévoit que la tierce opposition à l’encontre d’un jugement d’adoption n’est recevable qu’en cas de dol ou de fraude imputable aux adoptants.
« La tierce opposition à l’encontre du jugement d’adoption n’est recevable qu’en cas de dol ou de fraude imputable aux adoptants ou au conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin de l’adoptant.
Constitue un dol au sens du premier alinéa la dissimulation au tribunal du maintien des liens entre l’enfant adopté et un tiers, décidé par le juge aux affaires familiales sur le fondement de l’article 371-4, ainsi que la dissimulation au tribunal de l’existence d’un consentement à une procédure d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et, le cas échéant, d’une reconnaissance conjointe tels que prévus au chapitre V du titre VII du présent livre. »
Ainsi, la Cour d’appel va rechercher si les adoptants ont réalisé des manœuvres frauduleuses pouvant être constitutives d’un dol. En l’espèce, la Cour d’appel refuse de retenir l’accord établie avec le père biologique, qui renonçait à l’établissement de la filiation, car en application de l’article 323 du Code civil les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet d’accords privés. Ainsi, l’ensemble des arguments relatifs à la renonciation du père biologique et l’existence du projet parental du couple sont « sont inopérants et contraires à l’ordre public français du droit des personnes ».
« Les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »
La Cour d’appel constate que le père biologique n’avait pas été informé par l’adoptant de sa volonté d’adopter l’enfant et ignorait l’identité de la mère.
De plus, la mère et l’adoptante ont volontairement dissimulé au père biologique le projet d’adoption plénière, mais aussi au tribunal saisi de la requête en adoption qui n’avait pas connaissance des liens qui unissaient le père biologique à l’enfant, et des conditions de la conception de l’enfant.
La recevabilité d’une tierce opposition à une procédure d’adoption suppose l’existence de liens et une volonté du tiers d’établir la filiation.
Or, le père biologique entretenait depuis la naissance des liens avec l’enfant puisqu’il était désigné comme le père de l’enfant auprès de tiers, qu’il lui faisait des cadeaux pour la fête des pères, et qu’il le désignait ainsi dans ses dessins, mais aussi par les nombreux échanges le tenant informé de la vie de l’enfant, et certaines visites.
La mère du père biologique a également souhaité entretenir des liens avec l’enfant qui ont été refusés par le couple.
Enfin, la Cour d’appel affirme que la rétractation du jugement d’adoption n’est pas disproportionnée, ou inconventionnelle contrairement à ce qu’affirment les parties.
La Cour d’appel rappelle que « les liens d’affection, d’éducation et de protection, dont se prévalent Mmes[S][P] et[D][B] au soutien de leurs prétentions ne valent pas lien de filiation, ils ne sont pas des modes d’établissement de la filiation, ils peuvent justifier la démarche d’adoption mais ne confèrent pas à l’adoptant des droits subjectifs. »
Ainsi, avec l’ensemble des ces éléments, la Cour d’appel retient une omission dolosive de la part de la mère et de l’adoptante qui justifie la recevabilité de la tierce opposition.
L’annulation du jugement d’adoption plénière
La Cour d’appel annule le jugement d’adoption plénière en se fondant sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour la juridiction, le but de cette adoption était notamment d’exclure tout lien de filiation entre l’enfant, et le père biologique sans s’attacher à l’intérêt de l’enfant, alors que ce dernier à une filiation aujourd’hui précaire, résultat de la volonté des parties de contourner les dispositifs légaux d’établissement de la filiation.
De plus, les « conditions illégales de sa conception », sont incertaines, « ce qui nuit objectivement à sa construction ».
La Cour d’appel retient également la différence entre l’enfant et son demi-frère qui jouit d’une reconnaissance par le père biologique, lequel bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement. Il doit donc assimiler un statut différent de celui de son père, alors que son développement ne lui permet pas d’appréhender ces notions juridiques. La Cour d’appel conclut que « sa place d’enfant n’est donc pas respectée. »
Les enjeux de la décision
Cette décision semble s’inscrire à contre-courant de la jurisprudence de la Cour de cassation qui cherche à faciliter l’établissement des liens de filiation pour les enfants issus de gestation pour autrui, et notamment d’une de ses récentes décisions reconnaissant que l’exequatur d’un jugement étranger établissant la filiation d’une mère d’intention à l’égard d’un enfant issu d’une GPA, ne s’oppose pas à l’Ordre Public International français (Cour de cassation, 1ère Chambre civil, 14 novembre 2024, n°23-50.016).
Dans cet arrêt, la Cour d’appel semble prioriser une filiation conforme à la réalité biologique, tout en admettant que le projet parental du couple pouvait être mis en œuvre par le biais d’une adoption simple, sans priver l’enfant de la réalité de sa filiation paternelle et maternelle.
Le présent arrêt affirme que la dissimulation de la réalité de la conception d’un enfant lors d’une requête en adoption plénière peut faire l’objet d’une tierce opposition, et remettre en cause le projet parental.
Focus sur l’audition de l’enfant
En l’espèce, l’enfant a demandé à être entendu par le juge par voie postale.
La Cour d’appel refuse cette audition au motif que l’enfant ne peut pas faire preuve de discernement dans cette situation au regard de son âge et de la confusion relative à sa propre filiation.
Elle retient aussi que le mode de transmission de cette demande, par sa mère et sa conjointe sans passer par les avocats, ou le conseil choisi par l’administrateur pour représenter l’enfant laisse supposer une tentative d’influence sur l’enfant mineur.
Cette appréciation de la Cour d’appel laisse songeuse les avocats spécialisés en droit de la famille du cabinet. Certains juges ont en effet considéré dans le passé dans des dossiers de notre cabinet– à tort selon nous- que les courriers de demande d’audition transmis par les avocats des parties ne sont pas directement émis par le mineur et n’engage donc pas l’obligation d’audition par le juge ! Difficulté heureusement facilement contournée par une transmission directe.