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Droit de la famille

Divorce international - Détermination de la loi applicable au divorce des époux ayant un statut d’agent diplomatique

CJUE, 3eme, 20 mars 2025, n°C-61/24

Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

La qualité d’agent diplomatique de l’un des époux et son affectation à un poste dans l’État accréditaire s’opposent, en principe, à ce que la « résidence habituelle » des époux soit considérée comme fixée dans cet État.

Rappel du cadre légal

Loi applicable au divorce

L’article 8 du règlement (UE) n° 1259/2010 du 20 décembre 2010, dit règlement Rome III, établit la règle de conflit de lois applicable au divorce et à la séparation de corps pour les procédures engagées après le 21 juin 2012. 

Cette disposition s’applique lorsque les époux n’ont pas fait de choix express de la loi applicable à leur divorce.

L’article 8 opère selon une « cascade » de critères successifs, dans l’ordre suivant :

  • Résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction
  • Dernière résidence habituelle commune des époux (si elle n’a pas pris fin depuis plus d’un an avant la saisine et qu’un époux y réside encore)
  • Nationalité commune des deux époux au moment de la saisine de la juridiction
  • Loi du for

Le règlement Rome III nº1259/2010 ne comporte pas de définition de la notion de « résidence habituelle » et ne procède à aucun renvoi au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de cette notion.

Selon une jurisprudence constante, une interprétation autonome et uniforme doit donc être recherchée en tenant compte du libellé de cette disposition, du contexte dans lequel elle s’insère et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

Principes généraux issus de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques

La Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques organise un régime de privilèges et d’immunités au bénéfice des agents diplomatiques, notamment en matière de juridiction civile et administrative. 

L’objectif est d’assurer l’indépendance et la protection des missions diplomatiques vis-à-vis de l’État d’accueil, en évitant toute pression ou contrainte qui pourrait entraver leurs fonctions officielles. 

Selon l’article 31 de la Convention de Vienne de 1961, l’agent diplomatique jouit d’une immunité de juridiction totale, qui couvre non seulement la juridiction pénale mais aussi la juridiction civile et administrative de l’État accréditaire.

Ceci signifie que l’agent ne peut en principe pas être poursuivi ou assigné devant les juridictions civiles ou administratives du pays dans lequel il exerce ses fonctions diplomatiques.

Faits et procédure

Rappel des faits

Les époux, de nationalité allemande, se marient en 1989. 

Deux enfants, désormais majeurs, naissent de cette union. 

Résidence en Allemagne : au cours de l’année 2006, les époux louent un logement à Berlin dans lequel ils vivent ensemble pendant plus de dix ans.

Déménagement en Suède : en juin 2017, le couple s’installe en Suède à la suite de la mutation de l’époux à l’ambassade d’Allemagne à Stockholm. Dans la perspective d’un éventuel retour en Allemagne, les époux conservent leur logement familial dans lequel réside un de leurs enfants depuis le mois de septembre 2019.

Déménagement en Russie : en septembre 2019, le couple s’installe à Moscou dans un logement situé dans le complexe immobilier de l’ambassade d’Allemagne au sein de laquelle l’époux exerce les fonctions de conseiller d’ambassade. 

En janvier 2020, l’épouse rentre à Berlin pour y subir une intervention chirurgicale et demeure dans le logement familial jusqu’au mois de février 2021. L’époux se rend également à Berlin, au cours du mois d’août et du mois de septembre 2020, où il séjourne dans ce logement,

Le 26 février 2021, l’époux retourne à Moscou dans le logement rattaché à l’ambassade d’Allemagne.

Le 17 mars 2021, les époux informent leurs enfants de leur intention de divorcer. 

Depuis le 23 mai 2021, l’épouse vit dans le logement familial à Berlin et, tandis que l’époux continue de vivre dans le logement rattaché à l’ambassade d’Allemagne, à Moscou.

Rappel de la procédure

Procédures nationales

Procédure devant l’Amtsgericht (tribunal de district, Allemagne)

Le 8 juillet 2021, l’époux dépose une demande de divorce auprès de l’Amtsgericht.

Par ordonnance du 26 janvier 2022, l’Amtsgericht rejette ladite demande au motif que la période d’une année de séparation, exigée par le droit allemand, n’est pas expirée et qu’il n’existe pas de raisons suffisamment graves pour prononcer le divorce immédiatement.

L’époux fait appel.

Procédure devant Kammergericht (tribunal régional supérieur, Allemagne)

Le Kammergericht prononce le divorce en vertu de la loi russe qu’elle juge applicable conformément à l’article 8, sous b), du règlement Rome III. 

A cette fin, ladite juridiction constate que la « résidence habituelle » de l’époux, au sens de cet article, se trouve à Moscou et que la résidence de l’épouse dans cette ville n’a pris fin qu’à compter de son départ pour l’Allemagne, à savoir le 23 mai 2021, soit moins d’un an avant la saisine de l’Amtsgericht.

L’épouse forme un recours.

Procédure devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)

L’épouse demande que le divorce soit prononcé selon le droit allemand et que, concomitamment, une décision soit adoptée d’office sur la répartition compensatoire des droits à pension.

Elle précise que :

  • Si le divorce en cause au principal était soumis à la loi russe : il devrait être prononcé comme un divorce par consentement mutuel sans constatation de motifs de divorce et cette répartition devrait être effectuée sur demande de l’un des époux. 
  • Si la loi allemande devait trouver à s’appliquer : il y aurait lieu de constater la rupture du mariage, car la communauté de vie entre les époux a cessé depuis plus d’un an. 

Le Bundesgerichtshof (juridiction de renvoi) évoque un débat doctrinal en Allemagne sur la définition de la notion de « résidence habituelle ». Certaines auteurs soutiennent l’alignement sur la définition donnée pour l’application du règlement Bruxelles II ter (solution retenue in fine par la Cour de justice de l’Union européenne), tandis que l’autre partie de la doctrine considère qu’il n’existe pas de concordance parfaite des définitions de la notion de « résidence habituelle » entre deux règlements car le règlement Rome III exige un lien plus étroit avec l’État de résidence alors que le règlement Bruxelles II bis offre à la partie demanderesse le choix entre plusieurs fors de compétence.

La juridiction de renvoi s’interroge donc sur les critères de détermination de la « résidence habituelle » des époux au sens du règlement Rome III.

Sursis à statuer et question préjudicielle

Le Bundesgerichtshof décide de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante.

Selon quels critères convient-il de déterminer la résidence habituelle des époux au sens du Règlement Rome III, en particulier :

  • Le détachement en tant qu’agent diplomatique a-t-il une incidence sur la reconnaissance d’une résidence habituelle dans l’État accréditaire, voire s’y oppose-t-il ?
  • La présence physique des époux dans un État doit-elle avoir été d’une certaine durée avant que l’on puisse considérer qu’une résidence habituelle y a été établie ?
  • L’établissement d’une résidence habituelle suppose-t-il un certain degré d’intégration sociale et familiale dans l’État concerné ?

Apport de la Cour de justice de l’Union européenne

La conception unitaire d’interprétation

Critères de la résidence habituelle

La notion de « résidence habituelle » figure dans le règlement Bruxelles II ter (anciennement dans le Bruxelles II bis) en tant que le critère de rattachement de la compétence juridictionnelle. 

La Cour de justice de l’Union européenne avait déjà examiné la notion de « résidence habituelle » mais sous angle du règlement Bruxelles II bis en précisant qu’elle est caractérisée par deux éléments :

  • la volonté de l’intéressé de fixer le centre habituel de ses intérêts dans un lieu déterminé et,
  • une présence qui revêt un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État membre concerné (arrêt du 1er août 2022, MPA (Résidence habituelle – État tiers), C-501/20).

Par souci de cohérence entre les dispositions des règlements, la Cour de justice de l’Union européenne applique cette même interprétation pour les dispositions du règlement Rome III, une telle conception unitaire reflétant les rapports étroits qui existent entre ces deux règlements régissant, notamment, le divorce et la séparation de corps.

Cette interprétation unitaire a déjà été adoptée en matière alimentaire dans le cadre du règlement « Aliments » et du protocole de La Haye de 2007 (1er août 2022, C-501/20).

Cette approche permet de garantir tant l’objectif de sécurité juridique et de prévisibilité que la souplesse nécessaire dans les procédures matrimoniales, tout en empêchant les abus éventuels quant au choix de la loi applicable.

Une seule résidence habituelle

Dans la même logique, il conviendra de transposer au cas présent la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui statue qu’« un époux qui partage sa vie entre deux États ne peut avoir sa résidence habituelle que dans un seul de ces États » (arrêt du 25 novembre 2021, C-289/20).

L’incidence de la qualité d’agent diplomatique

La qualité d’agent diplomatique de l’un des époux dans l’État accréditaire, la durée de la présence physique des époux dans cet État ainsi que le degré d’intégration sociale et familiale dans celui-ci constituent-ils des éléments pertinents à prendre en compte pour déterminer « résidence habituelle » ?

Séjour à des fins professionnelles

La Cour de justice de l’Union européenne observe que le séjour d’un agent diplomatique sur le territoire de l’État accréditaire répond, en principe, exclusivement à des fins professionnelles, dès lors que ce séjour est en lien direct avec l’exercice de ses fonctions. 

Cette affectation est, en général, déterminée, d’abord et surtout, par les besoins du service de l’État accréditant et non en considération de la volonté et des préférences personnelles de l’agent diplomatique (observations du gouvernement allemand).

Cependant, le statut de l’agent diplomatique n’exclut automatiquement pas que l’État accréditaire puisse être considéré comme étant celui où les époux concernés ont voulu installer leur résidence habituelle.

Cela pourrait être, notamment, le cas, ainsi que l’a observé la Commission, lorsque l’agent diplomatique et son conjoint acquièrent à titre privé un logement dans l’État accréditaire pour s’y établir ensemble après la fin de son affectation. 

En résumé, il convient d’apprécier chaque situation individuellement, en considérant le statut de l’agent diplomatique comme l’un des éléments permettant de déterminer la résidence habituelle : si la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux constitue un élément pertinent dans le cadre de l’examen du caractère habituel de la résidence des époux sur le territoire de l’État accréditaire, cet élément n’est pas à lui seul déterminant pour exclure la reconnaissance d’une résidence habituelle de l’intéressé et des membres de sa famille dans ledit État.

Présence durable

La durée de la présence physique des époux sur le territoire d’un État constitue un indice de la « stabilité » du séjour qui caractérise la notion de « résidence habituelle » (cf. le § 3.1.). 

La situation des agents diplomatiques et des membres de leur famille est particulière en raison de la nature de leurs fonctions :

  • D’une part, ces personnes gardent souvent un rapport étroit avec l’État accréditant dans lequel ils se rendent régulièrement, et,
  • D’autre part, les agents diplomatiques étant généralement soumis à un principe de rotation, la durée de leur séjour dans l’État accréditaire peut être perçue comme a priori temporaire, alors même qu’elle peut parfois présenter, en pratique, une longueur non négligeable.
La pertinence du degré d’intégration sociale et familiale

L’intégration sociale dans un État, qu’il soit l’État accréditaire ou l’État accréditant, constitue un élément pertinent aux fins de la détermination de cette résidence, car elle est de nature à en concrétiser l’élément subjectif tenant à la volonté des intéressés de fixer le centre habituel de leurs intérêts dans un lieu déterminé.

Les attaches familiales conservées dans l’État accréditant ou, au contraire, celles créées dans l’État accréditaire peuvent également être pertinentes dans le cadre de l’analyse de l’ensemble des circonstances.

Application en l’espèce

En l’espèce, tout au long de leur résidence dans l’État accréditaire, les époux ont continué à entretenir un rapport étroit avec l’État accréditant, en y ayant conservé des intérêts patrimoniaux ainsi que des attaches sociales et familiales. 

Ceux-ci ont gardé leur logement à Berlin, dans la perspective d’un retour en Allemagne après la cessation des fonctions de l’époux dans l’État accréditaire, logement dans lequel leur fille majeure résidait et où ils ont semblé séjourner lorsqu’ils se sont rendus en Allemagne.

La Cour de justice de l’Union européenne conclut que, sous réserve de plus amples vérifications de la part de la juridiction de renvoi, ces éléments laissent à penser que les époux, malgré la durée de leur séjour en Russie, n’ont pas eu la volonté d’y fixer le centre habituel de leurs intérêts, ce dernier étant demeuré dans l’État accréditant duquel ils ne se sont éloignés que de manière temporaire, de sorte que le droit allemand apparaît comme étant celui de l’État de la résidence habituelle des époux.

La réponse à la question préjudicielle est ainsi la suivante :

L’article 8, sous a) et b), du règlement Rome III doit être interprété en ce sens que la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux et son affectation à un poste dans l’État accréditaire s’opposent, en principe, à ce que la « résidence habituelle » des époux soit considérée comme étant fixée dans cet État, à moins que ne soient établies, au terme d’une appréciation globale de l’ensemble des circonstances propres au cas d’espèce, incluant, notamment, la durée de la présence physique des époux ainsi que leur intégration sociale et familiale dans ledit État, d’une part, la volonté des époux de fixer dans le même État le centre habituel de leurs intérêts et, d’autre part, une présence revêtant un degré suffisant de stabilité sur le territoire de celui-ci.

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Publié le 04 Fév 2025