Jurisprudences
Défaut d’option du conjoint survivant entre les droits légaux et une libéralité en usufruit en présence d’un enfant d’un premier lit
Cass. civ. 1ere, 5 mars 2025, n°RG 23-11.430
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
En présence d’un conjoint survivant et d’enfants d’un premier lit, les droits légaux du conjoint survivant sont limités à ¼ en pleine propriété sauf si l’époux prédécédé a gratifié son conjoint de droits conventionnels.
En présence de droits légaux en pleine propriété et de droits conventionnels en usufruit, la présomption de l’article 758-4 du Code civil n’a pas vocation à s’appliquer. À défaut d’option avant son décès le conjoint survivant ne peut être réputé avoir opté pour des droits en usufruit. Les droits légaux devront s’appliquer.
Les faits et la procédure
Les faits
Un homme décède et laisse pour lui succéder son épouse et sa fille unique née d’une union précédente. Le défunt laisse un testament olographe du 8 mars 2002 par lequel il gratifie son épouse de l’intégralité de son patrimoine en usufruit. Cet avantage a été conforté par une donation entre époux en date du 27 novembre 2006.
L’inventaire de la succession détermine un patrimoine net de 432.128 €. L’usufruit est valorisé 172.851 €.
L’épouse se rapproche de la fille du de cujus pour parvenir à une liquidation amiable. Aucun accord n’intervient. De sorte qu’elle assigne l’héritière réservataire aux fins de comptes, liquidation et partage de la succession de son époux. Elle demande également au tribunal d’obtenir une avance en capital de ses droits dans la succession à hauteur de 100.000 €.
L’épouse décède en cours de procédure, ses filles reprennent l’instance. La défenderesse (fille de la première union) considère que l’épouse est réputée avoir opté pour l’usufruit de la succession. Elle saisit alors le Juge de la mise en état afin de faire constater l’extinction de l’usufruit du fait du prédécès de l’épouse. Elle considère en conséquence que les demanderesses n’ont plus ni la qualité ni d’intérêts à agir.
La décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel est saisie du litige. Les filles de l’épouse considèrent qu’à défaut d’avoir pu opter, l’option de l’usufruit légal n’était pas envisageable au regard des dispositions de l’article 757 du Code civil. Elles considèrent que leur mère doit être réputée comme ayant recueilli ¼ de la succession en pleine propriété et non pas en usufruit.
La Cour d’appel ne fait pas droit à leurs demandes et motive sa décision de la manière suivante :
- L’option du conjoint survivant se prouve par tous moyens (article 758-2 du Code civil), il n’est pas nécessaire de produire un écrit authentique afin de rapporter la preuve de l’option choisie ;
- L’inventaire notarié précise certes « bénéficiaire du quart en toute propriété de l’universalité des biens et droits mobiliers et immobiliers composants la succession », mais ce document ne permet à lui seul de constituer une preuve suffisante permettant de s’assurer du choix et de l’option choisie par le conjoint survivant. La cour juge que cette mention peut n’être qu’une mention déclarative précisée par le Notaire sur interpellation. Elle ne confère pas à elle seule une valeur probante de la réalité de l’option choisie.
- Aussi, la Cour d’appel considère que l’option choisie n’était absolument pas certaine au regard de l’assignation aux fins de comptes, liquidation et partage puisque l’épouse avait précisé dans son acte avoir été gratifiée de l’intégralité de la succession de son époux en usufruit (cet argument est vide de sens puisque si le conjoint survivant considérait être titulaire des droits en usufruit, il n’aurait pas été recevable à assigner en comptes, liquidation et partage à défaut d’indivision entre l’époux et l’héritière réservataire).
De sorte que la Cour d’appel suit la fille du premier lit dans son raisonnement : l’épouse est réputée avoir opté pour l’intégralité du patrimoine en usufruit en vertu de l’article 758-4 du Code civil. Or l’usufruit s’est éteint avec le décès de l’épouse, de sorte que ses filles sont irrecevables dans leurs demandes faute d’intérêt à agir.
Article 758-4 du Code civil :
« Le conjoint est réputé avoir opté pour l’usufruit s’il décède sans avoir pris parti »
Les filles de l’épouse forment un pourvoi en cassation qu’elles motivent par l’existence d’une descendante d’une première union. Le conjoint survivant recueillait donc nécessairement la propriété du quart en toute propriété selon elles.
La décision de la Cour de cassation
Rappelons qu’au visa de l’article 757 du Code civil, lorsqu’un époux prédécédé laisse un enfant d’un premier lit, le conjoint survivant recueille la propriété du quart des biens existants.
Article 757 du Code civil :
« Si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
La Cour de cassation considère que :
- les droits légaux de l’épouse n’étaient que de ¼ en pleine propriété, ses droits conventionnels étaient limités à l’usufruit total de la succession,
- aucun élément probant ne permet de démontrer que le conjoint survivant souhait opter pour ses droits conventionnels.
À défaut d’option dans des formes opposables permettant de rapporter la preuve de l’option choisie les droits légaux doivent s’appliquer.
La Cour de cassation précise que la présomption prévue par l’article 758-4 ne s’applique qu’à l’usufruit légal du conjoint survivant. Or, en présence de droits légaux limités à un quart en toute propriété et de droits conventionnels en usufruit, les dispositions de l’article 758-4 du Code civil ne s’appliquent pas.
De sorte que la Cour a considéré que l’action des demanderesses étaient recevables.