Jurisprudences
Date d’appréciation des éléments essentiels du contrat en présence d’une promesse unilatérale de vente : consentement du vendeur et prix
Cass. civ. 3eme, 21 nov. 2024, n°21-12.661
Patrimoine - Fiscalité
Enseignement de l'arrêt
L’existence du consentement du vendeur/promettant à la vente s’apprécie à la date de conclusion de la promesse unilatérale de vente, sans possibilité de rétractation. Sauf disposition contraire, la date de conclusion de la vente par l’effet de la levée d’option par le bénéficiaire est indifférente.
Le caractère sérieux du prix s’apprécie à la date de conclusion de la promesse unilatérale de vente, à la différence de la lésion qui s’apprécie à la date de la levée d’option.
Rappel du contexte
La promesse unilatérale de vente
La promesse unilatérale de vente a fait l’objet d’une définition légale par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
L’article 1124 du code civil définit, la promesse unilatérale de vente. Il dispose en effet que :
« La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. »
Ainsi, le promettant donne son consentement à la vente lors de la conclusion de la promesse unilatérale de vente.
Les éléments essentiels à la formation du contrat
L’article 1108 du code civil, dans sa version antérieure à la réforme issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 prévoyait que :
« Quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention :
Le consentement de la partie qui s’oblige ;
Sa capacité de contracter ;
Un objet certain qui forme la matière de l’engagement ;
Une cause licite dans l’obligation. »
La réforme du droit des obligations de 2016 a quelque peu changé la liste des conditions de validité du contrat dans le nouvel article 1128 du code civil, mais les éléments traités dans cet arrêt n’ont pas subi de modifications.
L’arrêt commenté traite notamment deux conditions essentielles de la validité du contrat, repris également dans la réforme :
- l’existence d’un consentement non vicié,
- un objet certain, à savoir la détermination d’un prix sérieux.
L’existence d’un consentement non vicié
En vertu de l’ancien article 1109 du code civil, dans sa version applicable aux faits de l’arrêt commenté :
« Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »
Ainsi, pour qu’un contrat soit valable il faut la réunion de deux éléments :
- que les parties au contrat aient donné leur consentement à celui-ci,
- que ce consentement ne soit pas vicié, c’est-à-dire qu’il ne doit pas avoir été donné par erreur, dol ou sous la violence.
Ces conditions ont été reprises par la réforme, au nouvel article 1128 du code civil.
La détermination d’un prix sérieux
La validité d’un contrat suppose que le prix soit déterminé ou déterminable.
À ce titre, l’article 1591 du code civil relatif au contrat de vente prévoit que :
« Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. »
Ce critère n’est cependant pas suffisant. Il convient également que le prix soit sérieux. Un prix dérisoire sera en effet assimilé à une absence de prix déterminé (Cour de cassation, chambre commerciale, 25 avril 1967, Bulletin civil IV, n° 168).
Or, l’absence de prix (ou de prix dérisoire assimilé à une absence de prix), peut entrainer la nullité du contrat.
En outre, si le droit français ne prévoit pas parmi les conditions de validité du contrat de vente l’équivalence entre le prix et la valeur réelle du bien vendu, des dispositions particulières offrent tout de même une action au vendeur en cas de prix trop faible par rapport à la valeur d’un bien immobilier vendu. Il s’agit de l’action en rescision pour cause de lésion. Cette action est ouverte à l’article 1674 du code civil qui prévoit que :
« Si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d’un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, quand même il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu’il aurait déclaré donner la plus-value. »
Ainsi, lorsque le prix de vente est inférieur à 5/12ème du prix vénal du bien, le vendeur peut demander la rescision du contrat, et la vente sera donc considérée comme n’ayant pas eu lieu.
Apport de l’arrêt
Rappel des faits
Par acte authentique du 21 octobre 1971, la propriétaire d’une parcelle promet de vendre cette dernière à la preneuse à bail de cette parcelle, ou à ses ayant droits, pour un prix équivalent à 78.652 €.
La promesse unilatérale de vente est consentie pour quatre années à compter du 1er novembre 1971, durée tacitement prorogée et prenant fin un an après la mise en service d’une rocade à proximité de la parcelle et dont le principe de la construction était acquis.
La promettante et la bénéficiaire de la promesse sont décédées respectivement en 1978 et en 1999, laissant chacune pour leur succéder un fils.
Par lettre recommandée du 1er juin 2011, le promettant, fils de la promettante originaire, indique au bénéficiaire, fils de la bénéficiaire originaire, qu’il considère la promesse de vente comme étant caduque.
Le 18 novembre 2016, le bénéficiaire lève l’option, dans le délai prévu par la promesse, puisque la rocade devait être ouverte à la circulation le 24 novembre suivant.
Le promettant n’ayant pas répondu, le bénéficiaire l’assigne aux fins de transferts de propriété de la parcelle, et de condamnation au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette ses demandes estimant qu’il n’est pas possible en cas de révocation de la promesse par le promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter d’ordonner la réalisation forcée de la vente, s’agissant d’une obligation de faire ne se résolvant qu’en dommages-intérêts.
La Cour d’appel considère également que l’appréciation du prix s’effectue, non pas à la date de la promesse, mais à celle de l’échange de l’accord des volontés, c’est-à-dire à la date de levée de l’option par le bénéficiaire. Elle juge que la disparité entre les offres de prix obtenues par le promettant (2 millions d’euros en 2019) et la proposition d’achat émanant du bénéficiaire établit le caractère ni réel ni sérieux du prix, conduisant ainsi à la nullité de l’acte.
Le bénéficiaire de la promesse forme un pourvoi en cassation.
Il fait grief à la Cour d’appel d’avoir jugé ainsi, et d’avoir rejeté sa demande de transfert de propriété alors que le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire.
Il estime donc que la Cour d’appel, en jugeant qu’il n’était pas possible d’ordonner la réalisation forcée de la vente a violé les article 1101, 1134 et 1142 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ainsi que l’article 1583 du même code.
En outre, il fait grief à la Cour d’appel d’avoir jugé que l’appréciation du prix s’effectue à la date de la levée d’option par le bénéficiaire, alors que la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente. Il estime ainsi que la Cour d’appel a violé le articles 1101 et 1134 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles 1583 et 1591 du même code en jugeant ainsi.
Les questions soumises à la Cour de cassation étaient donc les suivantes :
- la révocation par le promettant d’une promesse unilatérale de vente conclue avant l’application des dispositions issues de l’ordonnance du 10 février 2016 par le promettant fait-elle obstacle à l’exécution forcée de la vente ?
- à quelle date s’apprécie le caractère sérieux du prix en présence d’une promesse unilatérale de vente ?
Position de la Cour de cassation
Par un arrêt du 21 novembre 2024, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
L’inefficace rétractation du promettant pendant le délai d’option
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel sur ce point.
Au visa des articles 1101, 1134, alinéa 1er, et 1142 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la Cour de cassation rappelle que l’article 1101 du Code civil prévoit que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.
Elle invoque ensuite l’article 1134, alinéa 1er au terme duquel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Enfin, elle rappelle que l’article 1142 du Code civil dispose que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur.
La Cour de cassation procède ensuite à un rappel de l’évolution de sa jurisprudence en matière de rétractation du promettant pendant le délai pour lever l’option en présence d’une promesse unilatérale de vente.
Elle rappelle que si antérieurement à sa décision du 23 juin 2021, la rétractation du promettant faisait obstacle à la réalisation forcée de la vente, et que la violation de son obligation ne pouvait ouvrir droit qu’à des dommages-intérêts, elle a procédé à un revirement de jurisprudence.
Depuis la décision du 23 juin 2021, la rétractation du promettant ne fait pas obstacle à la formation du contrat de vente. Elle rappelle que la promesse unilatérale de vente est un avant contrat qui contient le consentement du vendeur, ainsi que les éléments essentiels du contrat définitifs et que :
- c’est à la date de la promesse que s’apprécient les conditions de validité de la vente,
- le promettant s’oblige ainsi définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat,
- le promettant ne dispose pas de possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire.
Elle estime finalement que la Cour d’appel, ayant jugé que la rétractation du promettant faisait obstacle à la réalisation forcée de la vente, a violé les textes susvisés.
La Cour de cassation finalise sa position en confirmant l’application rétroactive de ce principe aux promesses unilatérales de vente conclues avant la réforme du droit des obligations de 2016. Cette jurisprudence confirme la fin de l’application de la très critiquée jurisprudence « Cruz » (Cour de cassation, troisième chambre civile, 15 décembre 1993, n° 91-10.199), qui prévoyait que la rétractation du promettant faisait obstacle à la réalisation forcée de la vente.
Sur la date d’appréciation du caractère sérieux du prix en présence d’une promesse unilatérale de vente
Au visa des articles 1101, 1134, alinéa 1er, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article 1591 du même code, la Cour de cassation considère erronée le raisonnement de la Cour d’appel qui apprécie le prix à la date de la levée de l’option et non à la date de la promesse.
Elle juge que la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire, de sorte que la vileté du prix s’apprécie à la date de la promesse et non à celle de la levée d’option.
Elle ajoute que cette date est différente dans l’action en rescision pour lésion ouverte dans les conditions prévues par les articles 1674 et suivants du code civil qui s’apprécie à la date de la levée de l’option par le bénéficiaire.