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Droit des successions

Conflit d’héritiers et limite à la substitution du de cujus

Cass. civ. 1ère, 26 oct. 2022, n°21-18.667

Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions

Enseignement de l'arrêt

  • En cas de conflit entre des héritiers de deux successions distinctes sur la propriété d’un bien, les règles du droit des biens et plus spécialement de la possession, sont de nature à en déterminer le propriétaire final.
  • Les héritiers, intervenant juridiquement dans la continuité de la personne défunte, ne sont pas toujours au courant de leurs actions, témoignant ainsi de la limite à leur pouvoir de substitution.

Le contexte légal de la succession et les limites au droit de propriété

Contexte de la succession

Au décès, l’article 724 du code civil alinéa premier rappelle les règles successorales de la survie de sa situation patrimoniale : « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt. ».

Plus spécialement, c’est par une acceptation pure et simple de la succession que les héritiers s’inscrivent dans le prolongement patrimonial de la personne décédée.

Cette acceptation pure et simple de la succession ne signifie pourtant pas que l’héritier est indéfiniment tenu de tout le passif du défunt. L’article 786 du code civil pose une exception pour sauvegarder les intérêts de l’héritier : « L’héritier acceptant purement et simplement ne peut plus renoncer à la succession ni l’accepter à concurrence de l’actif net. Toutefois, il peut demander à être déchargé en tout ou partie de son obligation à une dette successorale qu’il avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel. L’héritier doit introduire l’action dans les cinq mois du jour où il a eu connaissance de l’existence et de l’importance de la dette. ».

En effet, la qualité de successeur et la continuité assurée du patrimoine du défunt n’est pas toujours signe d’une parfaite connaissance des actes commis par la personne décédée sur ses biens. En outre, les héritiers se trouvent limités dans leur pouvoir de substitution, notamment à l’aune du droit des biens.

Contexte du droit de propriété

Le possesseur d’un bien n’est pas obligé de prouver sa propriété. L’article 2276 du code civil prévoit que : « En fait de meubles, la possession vaut titre » de sorte que la prescription acquisitive prévue à l’article 2258 du code civil peut être invoquée lorsqu’il y a un doute sur le transfert de propriété d’un bien.

« En fait de meubles, la possession vaut titre. Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »

« La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Le respect de certaines conditions est cependant exigé. En application de l’article 2262 du code civil, la possession doit être « continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ».

« Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».

 

En cas de revendication du bien par un tiers, notamment d’un héritier qui se prétendrait propriétaire du bien en raison de son de cujus, les conditions dans lesquelles la possession du bien a été exercée et notamment son absence de clandestinité, revêtent une importance particulière. 

Dans l’arrêt rendu par la Première chambre civile le 26 octobre 2022, n°21-18.667, la Cour rappelle que les conditions d’exercice de la possession relèvent du pouvoir souverain des juges du fond.

Apport de l’arrêt de la Première chambre civile du 26 octobre 2022, n°21-18.667

Le contexte de l’arrêt

Une personne, collectionneur et amateur d’art, confie en juillet 1981 une œuvre d’art réalisée par Pablo Picasso à une galerie d’art qui la dépose dans une chambre forte d’une banque. 

En 2008, cette personne décède laissant pour lui succéder des héritiers. 

En 2016, les héritiers, exposant avoir découvert fortuitement l’existence de cette œuvre après le décès du de cujus, saisissent une société aux fins d’authentification et d’évaluation de l’œuvre. Ladite société sollicite dès lors la délivrance d’un certificat d’authenticité de l’œuvre auprès d’une autre société rassemblant les ayants droit de Pablo Picasso. 

C’est ainsi qu’informée de cette démarche, une héritière de la dernière conjointe du peintre, décédée en 1986 et attributaire en 1980 de l’œuvre figurant dans l’inventaire de la succession de Pablo Picasso, a obtenu la saisie-revendication de ladite œuvre et a assigné les héritiers du collectionneur et amateur d’art en revendication du bien. 

En première instance comme en appel, l’héritière auteure de la requête en revendication est déboutée de sa demande en revendication.

Le pouvoir souverain des juges du fond dans l’appréciation des conditions de la possession

La Première chambre civile rejette le pourvoi formé et juge dans cet arrêt que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain des faits et par une motivation suffisante que la cour d’appel considère que les conditions de la possession étaient remplies pour débouter l’héritière de sa demande en revendication de l’œuvre.

La Cour de cassation considère qu’en dépit du fait que l’œuvre a été déposée dans une chambre forte, lieu en principe secret, celle-ci a été confiée à une galerie, laquelle a transmis un reçu suivant lequel l’identité du collectionneur d’art et le lieu d’entrepôt de l’œuvre étaient indiqués. Dès lors, la Cour en conclut que la cour d’appel a justement écarté « l’existence d’une volonté de dissimulation à l’égard des tiers, de sorte que la possession n’avait pas été clandestine, nonobstant l’absence d’information [de l’héritière de la dernière conjointe du peintre] ».

Ainsi, une héritière pourtant attributaire de l’œuvre suivant les règles de « substitution successorale » se voit priver de la propriété d’un bien et les héritiers du collectionneur se trouvent propriétaires d’une œuvre dont ils ignoraient l’existence jusqu’à sa découverte fortuite. La survivance du patrimoine d’un défunt reste ainsi circonscrite aux caractères de la possession.