Jurisprudences
Assurance-vie - Les conditions de validité de la modification de la clause bénéficiaire
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
La modification d’une clause d’assurance vie est un acte unilatéral qui n’est subordonné à aucune règle de forme. Elle suppose seulement pour sa validité, que la volonté du contractant soit exprimée d’une manière certaine et non équivoque.
La cour de cassation revient sur ses jurisprudences de 2019 et 2022 et réaffirme sa jurisprudence antérieure : l’information de l’assureur du vivant du souscripteur n’est pas une condition de validité de la modification de la clause bénéficiaire.
Les faits et la procédure
Une personne souscrit auprès de la compagnie d’assurance CNP, deux contrats d’assurance-vie, respectivement en 1998 et 2004.
En 2014, par avenant elle modifie les clauses bénéficiaires des deux contrats. Elle le fait à nouveau en 2015, et prévoit une répartition par moitié du capital. 50% pour le bénéficiaire de 2014 et 50% pour 9 autres personnes dont également le bénéficiaire de 2014.
En 2019, l’assuré décède. La compagnie d’assurance verse l’intégralité des capitaux au bénéficiaire de 2014.
Puis, la compagnie d’assurance assigne la bénéficiaire en remboursement des sommes indument perçues, invoquant son erreur sur l’identité du bénéficiaire.
La Cour d’appel est saisie du litige et déboute la compagnie d’assurance de toutes ses demandes.
Les moyens au pourvoi
La compagnie d’assurance forme un pourvoi en cassation et motive ses demandes de la manière suivante :
- à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le bénéficiaire du contrat d’assurance-vie.
- cette modification peut intervenir dès lors que la volonté du contractant est éclairée d’une manière certaine et non équivoque. Cette faculté unilatérale n’est soumise à aucune forme particulière.
La Cour d’appel prive d’effet la modification intervenue en 2015 ; tout en constatant que le souscripteur de l’assurance-vie a expressément exprimé sa volonté de modifier les bénéficiaires en signant les formulaires d’avenant aux fins de modification des bénéficiaires.
Elle motive sa décision par la méconnaissance des demandes de modification de 2015 par l’assureur du vivant du souscripteur de l’assurance-vie.
La décision de la Cour de cassation
La deuxième Chambre civile rend sa décision au visa de l’article L132-8 du Code des assurances.
« Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.
Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis.
Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :
– les enfants nés ou à naître du contractant, de l’assuré ou de toute autre personne désignée ;
– les héritiers ou ayants droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire prédécédé.
L’assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l’exigibilité.
Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.
En l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu’avec l’accord de l’assuré, lorsque celui-ci n’est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire.
Lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit. »
Elle réaffirme d’abord le principe selon lequel, à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le souscripteur de l’assurance-vie a le droit de substituer un bénéficiaire à un autre. La substitution peut être effectuée par signature d’un avenant au contrat, en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du Code civil, ou par voie testamentaire.
La question qui se pose à la Cour porte sur les conditions de validité d’une substitution de bénéficiaire.
Rappel des principes de la jurisprudence antérieure à 2019
La liste des formes que peut prendre l’acte de substitution de bénéficiaire n’est pas limitative La modification du nom du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie n’est subordonnée à aucune règle de forme (1re chambre civile, 13 mai 1980, pourvoi n° 79-10.053, publié ; 1re chambre civile, 2 décembre 2015, pourvoi n° 14-27.215) ;
L’assuré peut modifier le bénéficiaire jusqu’à son décès dès lors que sa volonté est exprimée de manière certaine et non équivoque. Ces derniers critères relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (1re chambre civile, 25 septembre 2013, pourvoi n° 12-23.197, publié ; 2e chambre civile, 26 novembre 2020, pourvoi n° 18-22.563).
La connaissance par l’assureur de la volonté du contractant de substituer un bénéficiaire à un autre n’est pas une condition de validité (1re chambre civile, 6 mai 1997, pourvoi n° 95-15.319, publié ; 2e chambre civile, 13 septembre 2007, pourvoi n° 06-18.199, publié).
Le revirement de jurisprudence opéré en 2019 et 2022
Néanmoins, deux arrêts des 13 juin 2019 et 10 mars 2022 sont revenus sur cette dernière condition. La cour de cassation avait alors affirmé que, hors le cas d’une substitution de bénéficiaire par voie de testament, la validité d’une modification de bénéficiaire était conditionnée :
- d’une part, à l’expression d’une volonté certaine et non équivoque du contractant,
- d’autre part, à la connaissance de cette modification par l’assureur avant le décès de l’assuré (2e chambre civile, 13 juin 2019, pourvoi n° 18-14.954, publié ; 2e chambre civile, 10 mars 2022, pourvoi n° 20-19.655, publié).
Ces jurisprudences étaient justifiées par le souci de s’assurer que la volonté du contractant de modifier le bénéficiaire était résolue et aboutie. Elles se conciliaient toutefois imparfaitement avec les dispositions de l’article L. 132-8 du code des assurances, qui ne font pas mention de la connaissance de la substitution par l’assureur. Aussi, ces décisions contrevenaient aux dispositions de l’article L.132-25 du même code qui dispose que la connaissance par l’assureur de la substitution de bénéficiaire n’est qu’une condition d’opposabilité de cette modification à l’assureur, et ne conditionne pas sa validité ; le paiement fait à celui qui, sans cette modification, y aurait eu droit, étant libératoire pour l’assureur de bonne foi.
Modification de la jurisprudence et retour à l’ancien régime
La Cour de cassation constate que la majorité de la doctrine juridique a pu relever que la désignation d’un bénéficiaire est un acte unilatéral de volonté. La faculté de substitution n’exige ni le concours du bénéficiaire ni le consentement de l’assureur, lequel ne peut en aucun cas s’opposer à la volonté du contractant.
Il n’est pas possible de priver d’effet la volonté d’un contractant de modifier le bénéficiaire, alors même que les caractères certain et non équivoque de la volonté sont établis. La connaissance de cette volonté par l’assureur ne peut pas conditionner la validité de la substitution de bénéficiaire.
La jurisprudence de 2019 et de 2022 ne pouvait être maintenue.
La Cour de cassation par son arrêt en date du 3 avril 2025 réaffirme finalement sa jurisprudence antérieure : la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie n’est subordonnée à aucune règle de forme. Elle suppose seulement pour sa validité, que la volonté du contractant soit exprimée d’une manière certaine et non équivoque, condition appréciée souverainement par les juges du fond.
Elle casse et annule la décision de la Cour d’appel, en considérant que l’arrêt était conforme à la jurisprudence précédente mais que cette jurisprudence ne devait pas être maintenue et que l’information de l’assureur de la modification n’est pas une condition de validité de la substitution.