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Toute décision imposant une augmentation des engagements d’un associé d’une société civile, comme le blocage d’un compte courant ou une contribution anticipée aux pertes, nécessite son consentement, sous peine de nullité absolue.
L’article 1836 alinéa 2 du Code civil offre une protection individuelle forte aux associés contre l’alourdissement de leurs engagements, sauf lorsque les décisions relèvent de l’exécution normale de l’objet social, régulièrement adoptées selon les statuts.
Article 1836 du code civil :
« Les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que par accord unanime des associés.
En aucun cas, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci. »
Dans une société civile, les associés peuvent renforcer la trésorerie en avançant des fonds à la société, en plus de leur apport en capital. Ces avances prennent la forme de comptes courants d’associés (CCA).
Les comptes courants d’associés sont une solution de financement interne, fréquente dans les sociétés à faible capital. Ils représentent une créance de l’associé sur la société, qui devra les rembourser. Cette pratique est courante, notamment lors du remboursement d’un emprunt contracté par une société civile qui n’en a pas les moyens sur ses ressources propres.
Contrairement à un apport en numéraire (qui transfère la propriété à la société), l’apport en compte courant génère un droit de créance à l’égard de la société au profit de l’associé.
L’avance faite à la société via le comptes courants d’associés est un contrat et repose donc sur un accord entre les parties. Cela étant, il n’est pas interdit de prévoir dans les statuts une obligation pour les associés de verser de telles avances afin d’assurer une trésorerie à la société.
D’un point de vue pratique, il est donc judicieux d’organiser dès l’origine les modalités de contribution financière des associés, notamment pour anticiper les besoins de trésorerie.
Le financement des sociétés civile par les comptes courants d’associés : nature et régime juridique
On peut s’interroger, au regard de l’article 1836 du code civil, sur la qualification de l’augmentation d’un compte courant d’associé. S’agit-il d’un « alourdissement » de ses engagements ?
L’engagement indéfini, non solidaire et subsidiaire des associés des SCI
Rappelons que dans une société civile, la responsabilité des associés est indéfinie, non-solidaire et subsidiaire.
Les associés doivent assumer les pertes éventuelles et répondre du passif social. Leur responsabilité est indéfinie, ce qui signifie qu’ils peuvent être amenés à payer les dettes de la société sur leurs patrimoines personnels.
Cependant, cette responsabilité n’est pas solidaire. Le créancier doit poursuivre chaque associé individuellement, à hauteur de sa part dans le capital social. En pratique, cela implique pour le créancier d’engager autant de démarches qu’il y a d’associés concernés, ce qui limite l’efficacité de ses recours. En outre, le créancier doit toujours actionner en paiement d’abord la société, avant les associés eux-mêmes.
À noter : cette obligation de contribuer au passif ne peut pas être écartée par une clause statutaire, même pour un associé de société civile mineur. Toutefois, un créancier peut toujours renoncer à agir contre les associés personnellement.
Le prêt en compte courant ne lie juridiquement que la société et l’associé ayant consenti une avance à cette dernière : lorsqu’il est marié sous le régime de la communauté, seul l’époux qui a avancé les fonds a qualité pour demander à la société le remboursement des sommes inscrites sur le compte courant dont il est titulaire (Cour de Cassation, 1ère Chambre civile, 9 février 2011, n° 09-68.65).
L’obligation aux dettes sociales ne bénéficie pas aux associés des SCI
La Cour de cassation refuse le bénéfice de ce mécanisme au titulaire d’un compte courant d’associé au motif que ces derniers ne peuvent pas se prévaloir de l’obligation aux dettes sociales instituée au seul profit des tiers par l’article 1857 du Code civil (Cour de cassation, Chambre commerciale, 3 mai 2012, n° 11-14.844).
L’interdiction d’alourdir les engagements des associés
La Cour de cassation a pu juger que la décision d’assemblée générale imposant le blocage des comptes courants d’associés est considérée comme entraînant une augmentation des engagements des associés et ne peut être opposée à l’associé ayant effectué l’apport en compte courant dès lors qu’elle n’a pas été prise à l’unanimité (Cour de cassation, Chambre commerciale, 24 juin 1997, n°95-20.056).
En effet, l’associé d’une société civile peut demander le remboursement de son compte courant à tout moment, sans avoir à obtenir une autorisation préalable et spéciale des associés (CA Orléans, 9 nov. 1994), même en cas de difficultés financières de la société (Cour de cassation, Chambre commerciale, 24 juin 1997, 95-20.056) sauf disposition conventionnelle contraire telle qu’une convention de blocage.
L’article 1836 du Code civil distingue deux situations bien précises à travers ses deux alinéas. D’un côté, la modification des statuts est en principe soumise à l’accord unanime des associés, sauf disposition contraire. De l’autre, lorsqu’il s’agit d’alourdir les obligations pesant sur un associé, la règle est plus nuancée : seul l’accord exprès de l’associé concerné est nécessaire. Il ne s’agit donc pas ici d’une exigence d’unanimité, mais d’un consentement personnel.
En pratique, tout dépend donc du périmètre de la décision. Si la mesure impacte l’ensemble des associés en augmentant leurs engagements, alors l’unanimité devient indispensable, non pas parce que la loi l’impose, mais parce que chaque associé doit donner son accord pour lui-même.
À l’inverse, lorsque seule une partie des associés est concernée, il suffit d’obtenir l’aval des seuls intéressés. Ainsi, le second alinéa impose une protection individuelle, qui ne se transforme en obligation collective que si tous les associés sont affectés.
La sanction reste la nullité absolue dans tous les cas.
Limites de l’article 1836 alinéa 2
Le respect des statuts et de l’objet social
Cet article est applicable aux sociétés civiles mais ne règle que les conditions auxquelles doivent satisfaire les décisions modificatives des statuts et non celles relatives aux décisions prises conformément aux statuts en vue de la réalisation de l’objet social (Cour de Cassation, 1ère Chambre civile, du 8 novembre 1988, 87-10.514).
Dans cet arrêt du 8 novembre 1988, la jurisprudence rappelle que lorsqu’une assemblée générale adopte, dans les règles, des décisions entrant dans le cadre de l’objet de la société, les associés ne peuvent pas s’y opposer au motif que cela alourdit indirectement leurs engagements. Ainsi, si des dépenses sont engagées pour réaliser l’objet social, chaque associé doit participer à leur financement.
Le consentement individuel n’est requis que pour des décisions modifiant les engagements contractuels au-delà de ce que prévoient les statuts, non pour celles prises en exécution normale du pacte social.
Exemples d’alourdissement de l’engagement des associés d’une SCI
Exemple 1 d’alourdissement des engagements :
Cour d’appel de Colmar, Chambre 3 A, 22 mai 2023, n° 21/04372.
La société civile immobilière a tenté d’imposer une contribution aux pertes à ses associés sans leur consentement unanime, ce qui a été rejeté par la cour. La cour a estimé qu’en vertu de l’article 1836 alinéa 2 du code civil, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans son consentement. Les statuts ne prévoient pas explicitement une contribution anticipée aux pertes.
Exemple 2 d’alourdissement des engagements :
Un associé qui renoncerait au caractère subsidiaire de l’obligation aux dettes sociales. Une telle renonciation reviendrait à modifier la nature de la responsabilité de l’associé, en le plaçant dans une position plus exposée que celle prévue par l’article 1858 du code civil.
Par Clémence FRUITIER et Nicolas GRAFTIEAUX, le 12 mai 2025