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Le démembrement des parts sociales d’une SCI soulève des questions d’ordre fiscal quant à l’affectation du résultat courant, de la distribution des réserves ou en cas d’inscription des dividendes en compte courant d’associé.
Rappel juridique sur le démembrement de propriété
L’article 578 du Code civil dispose que « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. »
L’article 581 du Code civil précise que l’usufruit peut porter sur des biens immeubles mais également sur des biens meubles. Ainsi l’usufruit peut porter sur des parts sociales ou des actions d’une société.
« Il peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou immeubles. »
Aspects fiscaux de l’affectation du résultat courant et des distributions
En présence de parts sociales d’une SCI faisant l’objet d’un démembrement de propriété, il est nécessaire de s’interroger sur les incidences fiscales de :
- l’affectation du résultat courant ;
- de la distribution du résultat exceptionnel ;
- de la distribution des réserves.
Affectation du résultat courant
Inscription des dividendes en compte courant d’associé
La distribution du résultat courant revient obligatoirement en pleine propriété à l’usufruitier, même si, comme c’est souvent le cas, il est distribué non pas par un versement direct entre les mains des associés, mais par une inscription en compte courant d’associé.
Dans tous le cas, l’usufruitier est imposé au titre de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux.
Notons qu’en cas de donation par l’usufruitier titulaire des parts sociales et/ou de décès de ce dernier : l’intégralité du compte courant d’associé – résultant de l’affectation du résultat courant en compte courant d’associé – sera soumise aux droits de mutation à titre gratuit.
Affectation des résultats en réserves
Les associés d’une SCI peuvent décider d’affecter le résultat en réserves.
Au décès de l’usufruitier des parts de la SCI, les droits de succession ne seront exigibles ni sur l’extinction de l’usufruit des parts données en nue-propriété, ni sur le montant des résultats affectés en réserve puisque celui-ci revient au nu-propriétaire.
La mise en réserve du résultat peut donc être intéressante dans une optique de transmission : en effet, la Cour de cassation – dans un arrêt Cadiou du 10 février 2009 n°07-21806 – a confirmé qu’en l’absence d’une décision de distribution, les dividendes n’ont jamais existé et de sorte que l’usufruitier n’a pas pu s’en défaire. Ainsi la mise en réserve des résultats bénéficie au nu-propriétaire sans qu’il ne soit imposé au titre des droits de mutation à titre gratuit.
Dividende prélevé sur le résultat exceptionnel
La Cour de cassation – dans un arrêt du 19 septembre 2024 n°22-18687 – a récemment retenu que « la distribution, sous forme de dividendes, du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI affecte la substance des parts sociales grevées d’usufruit en ce qu’elle compromet la poursuite de l’objet social et l’accomplissement du but poursuivi par les associés ».
En cas d’atteinte à la substance des parts sociales, le dividende prélevé sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI est attribué à l’usufruitier sous la forme d’un quasi-usufruit (sauf convention contraire).
Cette solution ne semble pas s’étendre à l’hypothèse de la vente d’un seul actif immobilier de la SCI si celle-ci en possède plusieurs. Dans le cas de la vente d’un seul actif de la SCI parmi d’autres, les dividendes prélevés sur le produit de la vente reviendront à l’usufruitier en pleine propriété (s’agissant de la distribution d’un résultat courant et non d’un résultat exceptionnel).
Dividendes prélevés sur les réserves
La Cour de cassation (Cass. Com. 27 mai 2015 n°14-16246) retient que la distribution des réserves constitue la distribution d’un produit : nait alors un quasi-usufruit.
Il est toutefois possible de déroger à cette règle par voie conventionnelle.
L’introduction de l’article 774 bis du CGI par la loi de finances de 2024 conduit à s’interroger sur le traitement de la créance de quasi-usufruit née de la distribution des réserves bénéficiant à l’usufruitier.
En effet, cette loi de finances a institué un mécanisme destiné à contrecarrer les quasi-usufruits considérés comme abusifs : il exclut la possibilité d’inscrire au passif de la succession la créance de restitution dont est redevable la succession de l’usufruitier décédé à l’égard du nu-propriétaire si le démembrement naît d’un acte volontaire.
« I.-Ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit.
Le présent I ne s’applique ni aux dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal, ni aux usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du code civil.
II.-Par dérogation à l’article 1133 du présent code, la valeur correspondant à la dette de restitution non-déductible de l’actif successoral mentionnée au I du présent article donne lieu à la perception de droits de mutation par décès dus par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier, au moment de la succession ou de la constitution de l’usufruit, si les droits dus sont inférieurs.
Pour la liquidation des droits dus lors de la succession, en application du présent II, l’article 784 ne s’applique ni sur la valeur des sommes d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit ni sur celle des biens dont le défunt s’était réservé l’usufruit du prix de cession.
Les droits acquittés lors de la constitution de l’usufruit sont imputés sur les droits dus par le nu-propriétaire, sans pouvoir donner lieu à restitution. »
Dans un commentaire publié le 26 septembre 2024, l’Administration fiscale a exclu expressément du dispositif de l’article 774 bis du CGI la créance résultant d’une distribution de dividendes prélevés sur les réserves.
Ainsi si les dividendes prélevés sur les réserves ont été affectés à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit, la créance de restitution pourra être déductible de l’actif successoral. Selon l’analyse de nos avocats spécialisés en droit des successions, la même solution devrait pouvoir être retenue pour les dividendes provenant des bénéfices exceptionnels attribués à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit).
Au sujet de ce mécanisme, des questions demeurent tout de même : titre d’exemple, l’Administration fiscale ne s’est pas prononcée sur :
- la déductibilité ou non de la créance de restitution résultant d’un quasi-usufruit créé dans le cadre d’une donation de titres avec réserve d’usufruit suivie d’une réduction de capital ;
- la déductibilité ou non de la créance de restitution provenant d’un remboursement de compte courant d’associé grevé d’usufruit.
Dans son commentaire, l’Administration fiscale précise que les créances non déductibles sont celles qui résultent « de la cession d’un bien dont le défunt s’est préalablement réservé l’usufruit, ou de toute autre opération assimilable par laquelle le bien sur lequel le défunt s’était réservé l’usufruit ».
Les dettes résultant des opérations mentionnées ci-dessus ne seraient alors pas déductibles mais cela reste à préciser par les services fiscaux.
Par Victoire THIVEND et Nicolas Graftieaux, le 5 mai 2025