Jurisprudences
Renonciation tacite par un époux à la revendication de la qualité d’associé
Cass. com, 12 mars 2025, n°23-22.372
Patrimoine - Fiscalité
Enseignement de l'arrêt
La renonciation d’un époux commun en biens à la qualité d’associé en cas d’apport ou d’acquisition de parts sociales non négociables peut être tacite comportement sans équivoque.
Un accord familial a création de structures indépendantes, excluant l’intervention de l’époux non associé peut caractériser a renonciation tacite à la revendication de la qualité d’associé.
Rappel du cadre légal
La revendication de la qualité d’associé de l’époux communs en biens
La question de l’acquisition de parts sociales, ou d’apport en société pendant le mariage par un époux marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts fait l’objet d’un traitement jurisprudentiel dense auquel participe quotidiennement les avocats du cabinet Canopy spécialisés en droit de la famille appliqué aux chef.fe.s d’entreprises.
Une des décisions fondatrices a été prononcée le 09 juillet 1991 par la Cour de Cassation, indiquant que, s’agissant des droits sociaux non négociables (SCI, SARL notamment), il convient de distinguer entre le « titre » et la « finance ».
Les droits sociaux non négociables souscrits ou acquis par un époux pendant le mariage par le biais de biens communs sont communs, mais uniquement en valeur (la « finance »). La qualité d’associé (le « titre ») reste en revanche propre à l’époux titulaire des droits sociaux (Cours de Cassation, 1ère chambre civile, 9 juillet 1991, n°90-12.503).
Cependant, le code civil prévoit la possibilité pour l’époux communs en biens d’être titulaire de la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises s’il le souhaite.
« Un époux ne peut, sous la sanction prévue à l’article 1427, employer des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables sans que son conjoint en ait été averti et sans qu’il en soit justifié dans l’acte.
La qualité d’associé est reconnue à celui des époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition.
La qualité d’associé est également reconnue, pour la moitié des parts souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d’être personnellement associé. Lorsqu’il notifie son intention lors de l’apport ou de l’acquisition, l’acceptation ou l’agrément des associés vaut pour les deux époux. Si cette notification est postérieure à l’apport ou à l’acquisition, les clauses d’agrément prévues à cet effet par les statuts sont opposables au conjoint ; lors de la délibération sur l’agrément, l’époux associé ne participe pas au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité.
Les dispositions du présent article ne sont applicables que dans les sociétés dont les parts ne sont pas négociables et seulement jusqu’à la dissolution de la communauté. »
Pour cela, l’époux commun en biens doit notifier à la société sa volonté d’être personnellement associé. En cas de notification concomitante à l’apport ou à l’acquisition, ce dernier est automatiquement associé, tandis en cas de notification postérieure, les éventuelles clauses d’agrément prévues par les statuts sont opposables au conjoint.
En vertu du dernier alinéa de l’article 1832-2 précité, cette possibilité est ouverte au conjoint jusqu’à la dissolution de la communauté, c’est-à-dire, même en cas d’ouverture d’une procédure de divorce, tant que celui-ci n’est pas prononcé de manière définitive.
La renonciation à la revendication de la qualité d’associé
S’il est possible pour un époux de revendiquer la qualité d’associé sur la moitié des parts sociales non négociables, il lui est également possible de renoncer à cette possibilité.
En effet, même cette renonciation n’est pas prévue expressément par les textes, elle a été très tôt admise par la Cour de cassation (Cour de Cassation, Chambre commerciale, 12 janvier 1993, n°90-21.126). Elle a plus récemment précisé la forme que pouvait prendre cette renonciation.
Cette renonciation à la qualité d’associé par un époux peut évidemment être express, c’est-à-dire que l’époux exprime clairement et précisément sa volonté de renoncer à la revendication de la qualité d’associé en vertu de l’article 18732-2 du Code civil.
Cette renonciation peut également être tacite :
« La renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer. » (Cour de Cassation, Chambre commerciale, 21 septembre 2022, n°19-26.203).
Ce sont les mêmes faits qui ont conduit à l’arrêt de 2025 commenté ici.
Faits et procédure
En l’espèce, deux époux se marient le 17 juillet 1970, sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts.
Pendant le mariage, l’épouse constitue une société de transport dont elle est gérante, et apporte pour ce faire des biens communs à cette société.
De son côté, l’époux constitue également une société indépendante, de gestion d’un garage.
Une procédure de divorce est ensuite engagée par les époux.
Durant la procédure de divorce, le 13 juin 2007, l’époux notifie à la société de transport son intention d’être personnellement associé à hauteur de la moitié des parts sociales correspondant à l’apport que cette son épouse avait effectué pendant le mariage.
Il sollicite également la communication des comptes de la société de transport, ce que cette dernière refuse.
L’époux assigne son épouse, ainsi que la société aux fins de voir constater qu’il avait la qualité d’associé depuis le mois de juin 2007, et d’obtenir communication des documents sociaux demandés.
Par un arrêt du 29 août 2019, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence juge que l’époux a la qualité d’associé depuis le mois de juin 2007 et ordonne la communication desdits documents sociaux. Elle juge notamment que la renonciation à la revendication de la qualité d’associé sur le fondement de l’article 1832-2 du code civil doit être expresse et non équivoque.
La société de transport se pourvoit en cassation.
Par un arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, en jugeant que la Cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 en jugeant ainsi, alors que la « renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer ».
Statuant sur renvoi, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 14 septembre 2023 juge que l’époux a la qualité d’associé depuis le mois de juin 2007, et ordonne la communication de documents sociaux. Elle juge en effet que l’époux n’avait pas renoncé à la revendication de la qualité d’associé de manière non équivoque.
La société de transport et l’épouse forment un nouveau pourvoi en cassation.
Elles estiment que la Cour d’appel a violé les articles 1134 dans sa rédaction antérieure au 10 février 2016, ainsi que l’article 1832-2 du Code civil en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations en jugeant que l’époux n’avait pas renoncé de façon non équivoque à la revendication de la qualité d’associé alors que les époux avaient fait le choix de constituer chacun leur propre société, de manière concomitante et indépendante, sans que l’autre n’en soit associé.
Les demandeuses au pourvoi estiment qu’il en résultait que les époux étaient seuls maîtres de leur propre affaire et qu’ils avaient l’un et l’autre renoncé, de façon non équivoque, à revendiquer la qualité d’associé dans la société constituée par leur conjoint.
Ensuite, elles estiment que la Cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérant, en jugeant que l’époux n’avait pas renoncé de façon non équivoque, au motif qu’il avait eu une participation active au sein de cette société, et qu’il s’était vu confier plusieurs mandats afin de représenter celle-ci en justice et avait commandé pour son compte diverses fournitures, accomplissant ainsi des actes de gestion.
Ainsi la Cour de cassation a dû répondre à la question suivante : par quels motifs peut être caractérisé la renonciation non équivoque par un époux à la revendication de la qualité d’associé prévue par l’article 1832-2 al. 3 du Code civil ?
Apport de la Cour de cassation
Analyse
Dans un arrêt du 12 mars 2025, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle rappelle d’abord le principe bien connu selon lequel si le conjoint de l’époux commun en biens qui a employé des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociables non négociables, dispose du droit de se voir reconnaître la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises, il peut renoncer à ce droit.
Elle ajoute que cette renonciation peut être tacite et résulter d’un comportement qui est, sans équivoque, incompatible avec le maintien du droit du conjoint de se voir reconnaître la qualité d’associé.
Le Cour de cassation rappelle que l’arrêt d’appel retient qu’en l’absence de toute clause d’agrément prévue aux statuts de la société de transport, susceptible de faire obstacle à la revendication de la qualité d’associé, ou d’accord familial démontré quant à la création de structures indépendantes, excluant l’intervention de l’époux non associé, le fait, pour les époux, d’avoir constitué, de manière concomitante, deux sociétés distinctes dont chaque époux était associé à concurrence de 50 %, sans que l’autre n’ait de participation, et la gouvernance de ces sociétés, est insuffisant à démontrer une renonciation sans équivoque, à la qualité d’associé, de chacun des époux au sein de la société constituée par son conjoint.
Elle estime que de ces énonciations, constations et appréciations, dont il résulte que la preuve n’était pas rapportée que l’époux avait adopté un comportement étant, sans équivoque, incompatible avec le maintien de son droit de se voir reconnaître la qualité d’associé de la société de transports, la Cour d’appel a pu déduire que l’époux avait la qualité d’associé de cette société.
Ce faisant, la Cour de cassation précise donc un peu plus la forme que peut prendre la renonciation tacite à la revendication de la qualité d’associé par un époux commun en bien. Elle indique que cette renonciation peut résulter d’un « accord familial » démontré par l’organisation adoptée par les époux dans le cadre de la création des sociétés et de l’exercice de leurs activités.
Cependant, en l’espèce, elle juge que l’organisation des époux ne permet pas de caractériser un accord familial d’exclusion réciproque des époux de la société de l’autre.
Une telle décision est en accord avec la jurisprudence constante en matière de renonciation qui juge que « la renonciation à un droit ne se présume pas, et ne peut résulter que des faits sans équivoque » (Cour de Cassation, Chambre sociale, 20 avril 1967, n° 65-10.123).
Ainsi, en jugeant que l’organisation des époux ne permettait pas de caractériser une renonciation tacite sans équivoque, la Cour de cassation a appliqué cette jurisprudence.
Préconisations
En pratique, il est courant que l’époux d’un associé ayant constitué une société pendant le mariage, revendique au moment du divorce la qualité d’associé. Et en dehors d’une renonciation express, il apparait périlleux de compter uniquement sur la possibilité de caractériser une renonciation tacite.
De fait, nos avocats spécialisés en droit du divorce et des sociétés conseillent systématiquement à l’époux qui souhaite exclure son conjoint de la société, de prévoir que l’époux rédigera une renonciation express, ou à tout le moins une clause d’agrément dans les statuts, permettant de faire obstacle à une revendication tardive.
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