Jurisprudences
Mariage – Droit de poursuite des créanciers à l’égard de l’époux commun en biens n’ayant pas souscrit à la dette
Cass. civ. 1ere, 21 mai 2025, RG n°23-21.684
Unions (mariage / pacs / concubinage), Divorce – Séparation de corps, Liquidation et partage de régime matrimonial
Enseignement de l'arrêt
Le droit de poursuite des créanciers pour les dettes souscrites par l’un des époux communs en biens, ne s’étend pas au conjoint non débiteur, quand bien même les biens communs sont compris dans l’assiette de leur gage.
Rappel du cadre légal
Aux termes de l’article 220 du Code civil, les époux sont solidairement responsables des dettes contractées pour l’entretien du ménage et/ou l’éducation des enfants.
Sont toutefois exclus du principe de solidarité :
- les dettes ménagères considérées comme manifestement excessives eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité de l’opération et à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant ;
- les achats à tempérament auxquels un seul des époux a consenti ;
- les emprunts auxquels un seul époux a consenti.
En dehors de ces dettes ménagères, les époux ne sont pas, par principe, considérés comme solidaires des dettes souscrites par l’autre. L’absence de solidarité protège ainsi le patrimoine propre/personnel de l’époux qui ne s’est pas engagé, sans pour autant protéger le patrimoine commun lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté.
Les dettes communes
En principe, toute dette souscrite par l’un ou l’autre des époux au cours de la communauté engage les biens propres de l’époux débiteur et les biens communs (articles 1413 et 1418 du Code civil).
Deux tempéraments peuvent être apportés à ce principe :
- les gains et salaires du conjoint non débiteur ne peuvent être saisis, sauf s’il s’agit d’une dette ménagère (article 1414 alinéa 1 du Code civil) ;
- lorsque les gains et salaires du conjoint non débiteur ne peuvent être identifiés du fait de leur inscription en compte joint par exemple, alors les créanciers doivent laisser 1/12ème des gains et salaires de l’année antérieure (article 1414 alinéa 2 du Code civil).
Enfin, il existe une exception à ce principe, en cas de fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier (article 1413 in fine du Code civil). Dans ce cas l’acte est inopposable au conjoint et les biens communs sont insaisissables.
« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu ».
« Les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. Lorsque les gains et salaires sont versés à un compte courant ou de dépôt, ceux-ci ne peuvent être saisis que dans les conditions définies par décret ».
« Lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre. S’il y a solidarité, la dette est réputée entrer en communauté du chef des deux époux ».
Néanmoins, le régime de la communauté n’implique pas que l’ensemble des dettes soient supportées à titre définitif par la communauté. Donnent ainsi lieu à récompense, au profit de la communauté, le règlement par cette dernière :
- des dettes contractées dans l’intérêt personnel d’un des époux ;
- des dettes contractées pour l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien propre ;
- des amendes et dommages et intérêts suite à l’engagement de la responsabilité d’un des époux ;
- et des dettes contractées au mépris des devoirs du mariage.
« La communauté qui a acquitté une dette pour laquelle elle pouvait être poursuivie en vertu des articles précédents a droit néanmoins à récompense, toutes les fois que cet engagement avait été contracté dans l’intérêt personnel de l’un des époux, ainsi pour l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien propre ».
« La communauté a droit à récompense, déduction faite, le cas échéant, du profit retiré par elle, quand elle a payé les amendes encourues par un époux, en raison d’infractions pénales, ou les réparations et dépens auxquels il avait été condamné pour des délits ou quasi-délits civils. Elle a pareillement droit à récompense si la dette qu’elle a acquittée avait été contractée par l’un des époux au mépris des devoirs que lui imposait le mariage ».
Les dettes propres
Sont considérées comme propres :
- les dettes antérieures à la communauté ;
- les dettes grevant un bien reçu par succession ou libéralité pendant la communauté.
Dans ce cas, l’assiette de gage des créanciers est composée des biens propres de l’époux débiteur et de ses revenus.
« Les dettes dont les époux étaient tenus au jour de la célébration de leur mariage, ou dont se trouvent grevées les successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage, leur demeurent personnelles, tant en capitaux qu’en arrérages ou intérêts ».
« Les créanciers de l’un ou de l’autre époux, dans le cas de l’article précédent, ne peuvent poursuivre leur paiement que sur les biens propres et les revenus de leur débiteur.
Ils peuvent, néanmoins, saisir aussi les biens de la communauté quand le mobilier qui appartient à leur débiteur au jour du mariage ou qui lui est échu par succession ou libéralité a été confondu dans le patrimoine commun et ne peut plus être identifié selon les règles de l’article 1402 ».
Enfin, lorsqu’un époux souscrit seul un emprunt ou un cautionnement, sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’une dette ménagère, il demeure seul tenu à son obligation et l’assiette du gage des créanciers est limitée au bien propre de l’époux débiteur et à ses revenus.
Toutefois ce principe connaît quelques exceptions :
- si le conjoint non débiteur donne son consentement : dans ce cas l’assiette du gage est augmentée des biens communs ;
- si les époux se portent caution pour la même dette dans le même acte : dans ce cas l’assiette du gage comprend les biens propres de chacun ainsi que les biens communs ;
- si les époux se portent caution pour la même dette dans des actes distincts : seuls les biens propres de chacun intègrent le gage des créanciers.
Ainsi dans le régime de la communauté, l’assiette du gage des créanciers d’une dette souscrite par un seul des époux peut s’étendre aux biens communs et obérer de fait, significativement le patrimoine de l’époux non débiteur. Une assiette de gage qui n’est à distinguer de l’exercice du droit de poursuite par les créanciers.
Faits et procédure
Dans le dossier étudié par la Cour de cassation, des malversations d’un administrateur judiciaire conduisent la Caisse de garantie de la profession à exposer des dépenses. Souhaitant être remboursée, la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires assigne l’administrateur judiciaire et son épouse commune en biens, aux fins de remboursement.
Dans un arrêt du 29 juin 2023, la Cour d’appel de Paris constate que la créance détenue par la Caisse de garantie est une dette née au cours de la communauté, résultant des fautes délictuelles de l’époux, qui peut dès lors être poursuivie sur les bien communs.
Elle déboute toutefois la Caisse de garantie de sa demande de condamnation de l’épouse commune en biens car elle considère que « condamner cette dernière à titre personnel aurait pour conséquence de permettre l’exécution de la décision de justice, la saisie de ses biens personnels ».
La Caisse de garantie forme un pourvoi en cassation. Elle soutient une lecture extensive de l’article 1413 du Code civil qui permettrait de poursuivre directement l’époux commun en bien, non souscripteur à la dette, lorsque l’assiette de gage des créanciers porte notamment sur les biens communs.
Apport de la Cour de cassation
Le 21 mai 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi et précise que les dispositions de l’article 1413 du Code civil sont « relatives à l’assiette du droit de poursuite des créanciers pendant le mariage du chef d’un seul des époux, ne sauraient en l’absence d’engagement personnel de son conjoint, justifier la condamnation de ce dernier au paiement de la dette ».
Par conséquent, le droit de poursuite des créanciers pour les dettes souscrites par l’un des époux communs en biens, ne s’étend pas au conjoint non débiteur, quand bien même les biens communs sont compris dans l’assiette du gage.