Le droit de participer aux acquêts est incessible tant que le régime matrimonial n’est pas dissous. Si la dissolution survient par la mort d’un époux, ses héritiers ont, sur les acquêts nets faits par l’autre, les mêmes droits que leur auteur. »
Jurisprudences
Participation aux acquêts - La prise en compte des améliorations d'un époux s'applique aux droits sociaux
Cass. civ. 1ere, avis du 12 juin 2025, n°25-70.009
Divorce – Séparation de corps, Liquidation et partage de régime matrimonial
Enseignement de l'arrêt
Si l’état d’une société a été améliorée par l’industrie personnelle d’un époux marié sous le régime de la participation aux acquêts, il est estimé dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, dans son état à la date de la dissolution du régime matrimonial, en tenant compte des améliorations apportées.
Le régime de participation aux acquêts
Le régime de la participation aux acquêts, prévu aux articles 1569 à 1581 du Code civil, repose sur une structure mixte.
« Quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu’il a acquis pendant le mariage à titre onéreux. Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. A la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final.
Pendant le mariage, ce régime fonctionne comme une séparation de biens, mais à sa dissolution, chaque époux a droit à la moitié en valeur de l’enrichissement -les acquêts nets- réalisés par l’autre : la créance de participation. Cette créance de participation suppose une reconstitution et une évaluation des patrimoines originaires (au mariage) et finaux ( au jour de la dissolution du régime matrimonial).
Plus précisément, la créance de participation est calculée à partir de la différence entre :
- le patrimoine originaire, évalué dans l’état des biens au jour du mariage ou de leur acquisition (article 1574 du code civil),
- et le patrimoine final, composé des biens existant au jour de la dissolution du régime, estimés selon leur état à cette date et leur valeur au jour de la liquidation (articles 1572 et 1574 du code civil).
« Font partie du patrimoine final tous les biens qui appartiennent à l’époux au jour où le régime matrimonial est dissous, y compris, le cas échéant, ceux dont il aurait disposé à cause de mort et sans en exclure les sommes dont il peut être créancier envers son conjoint. S’il y a divorce, séparation de corps ou liquidation anticipée des acquêts, le régime matrimonial est réputé dissous au jour de la demande.
La consistance du patrimoine final est prouvée par un état descriptif, même sous seing privé, que l’époux ou ses héritiers doivent établir en présence de l’autre conjoint ou de ses héritiers ou eux dûment appelés. Cet état doit être dressé dans les neuf mois de la dissolution du régime matrimonial, sauf prorogation par le président du tribunal statuant sur requête.
La preuve que le patrimoine final aurait compris d’autres biens peut être rapportée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions.
Chacun des époux peut, quant aux biens de l’autre, requérir l’apposition des scellés et l’inventaire suivant les règles prévues au code de procédure civile. »
« Les biens existants sont estimés d’après leur état à l’époque de la dissolution du régime matrimonial et d’après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci. Les biens qui ont été aliénés par donations entre vifs, ou en fraude des droits du conjoint, sont estimés d’après leur état au jour de l’aliénation et la valeur qu’ils auraient eue, s’ils avaient été conservés, au jour de la liquidation.
De l’actif ainsi reconstitué, on déduit toutes les dettes qui n’ont pas encore été acquittées, y compris les sommes qui pourraient être dues au conjoint.
La valeur, au jour de l’aliénation, des améliorations qui avaient été apportées pendant le mariage à des biens originaires donnés par un époux sans le consentement de son conjoint avant la dissolution du régime matrimonial doit être ajoutée au patrimoine final. »
Une incertitude jurisprudentielle subsistait quant à la manière d’évaluer un bien propre ayant pris de la valeur pendant le mariage grâce au travail personnel (appelée « l’industrie personnelle ») d’un époux.
Par un arrêt du 13 décembre 2023 (n° 21-25.554), la Cour de cassation avait affirmé que, pour une entreprise individuelle, la plus-value ainsi générée devait être comptabilisée dans les acquêts nets et donc partagée entre les époux.
Mais cette règle s’applique-t-elle également aux droits sociaux d’une société dont un époux est associé ou actionnaire ?
Telle est la question soumise à la Cour de cassation par un juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Versailles, au cours d’une instance de divorce.
Faits et procédure
Deux époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts sont en instance de divorce. L’un d’eux est titulaire de droits sociaux dans une société qu’il a valorisée par son travail personnel au cours du mariage.
Le juge aux affaires familiales, saisi pour trancher les opérations de liquidation, interroge la Cour de cassation.
La règle posée en 2023 sur l’intégration de la plus-value issue de l’industrie personnelle d’un époux s’applique-t-elle également lorsque cette activité est exercée dans le cadre d’une société ?
Apport de la Cour de cassation
Dans son avis du 12 juin 2025, la Cour de cassation répond par l’affirmative : la règle issue de l’arrêt du 13 décembre 2023 s’applique à tous les biens, y compris aux droits sociaux détenus par un époux dans une société.
Ainsi, les droits sociaux sont considérés :
- dans le patrimoine originaire selon l’état initial de l’entreprise à la date d’entrée dans le régime matrimonial,
- dans le patrimoine final en tenant compte de l’état de l’entreprise au jour de la dissolution, incluant les améliorations liées à l’industrie personnelle de l’époux,
A lire trop scrupuleusement l’arrêt de la Cour de cassation, la plus-value ainsi générée viendrait totalement et simplement accroître les acquêts nets du propriétaire des parts.
Portée de l’avis
L’avis est un élargissement de la solution de 2023, qui s’applique désormais aussi à une société : le critère déterminant est l’enrichissement issu du travail personnel, et non la structure juridique.
Contrairement au régime de la communauté légale réduite aux acquêts, dans lequel une société reste propre sans récompense ni enrichissement au profit de la communauté, la participation aux acquêts permet au conjoint de bénéficier de l’activité personnelle de l’entrepreneur.
Il convient cependant de circonscrire exactement la portée de cet avis. Si cette solution permet au conjoint qui n’est pas associé de bénéficier indirectement de l’essor d’une entreprise généré par son époux, par son industrie personnelle, elle ne lui permet pas d’accaparer l’intégralité de l’accroissement de l’entreprise pendant le mariage qui peut être causé par d’autres facteurs.
L’article 1571 du code civil contraint en effet à analyser l’état de la société qui faisait partie du patrimoine originaire de l’époux (au jour du mariage). L’industrie personnelle a-t-elle modifiée l’état de la société ? La question de l’état d’une société a toujours été très discutée en jurisprudence et en doctrine en raison à la fois de la multi-causalité et du caractère protéiforme de cet accroissement .
En l’état de cet article, si l’entreprise n’a pas changé d’état, alors sa valeur au jour de la dissolution du régime matrimonial est portée à l’identique dans le patrimoine originaire ET dans le patrimoine final, annulant toute participation du conjoint à l’enrichissement. Si en revanche l’industrie personnelle a modifié l’état de la société, l’avis de la Cour de cassation trouve alors sa pleine application, correctement articulée avec l’article 1571 du code civil.
« Les biens originaires sont estimés d’après leur état au jour du mariage ou de l’acquisition, et d’après leur valeur au jour où le régime matrimonial est liquidé. S’ils ont été aliénés, on retient leur valeur au jour de l’aliénation. Si de nouveaux biens ont été subrogés aux biens aliénés, on prend en considération la valeur de ces nouveaux biens.
De l’actif originaire sont déduites les dettes dont il se trouvait grevé, réévaluées, s’il y a lieu, selon les règles de l’article 1469, troisième alinéa. Si le passif excède l’actif, cet excédent est fictivement réuni au patrimoine final. »
La question primordiale à laquelle les avocats spécialisés en divorce et liquidation des régimes de participation aux acquêts est donc la détermination de la source de l’accroissement de valeur de la société : industrie personnelle / accroissement fortuit puis la conséquence sur l’entreprise : changement d’état ou pas ?
Rappelons en outre que la loi du 31 mai 2024 est venue modifier l’article 265 du code civil permettant l’exclusion contractuelle du patrimoine professionnel du calcul de la participation aux acquêts. L’effet combiné des avis de la Cour de cassation de 2023 et 2025 ne modifient pas cette nouveauté législative mais contraignent les époux à mieux penser leur régime matrimonial et à déterminer finalement quel degré de participation ils souhaitent.
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