Aller au contenu

Droit du patrimoine

Un indivisaire ayant payé des CGS et CRDS sur les revenus fonciers tirés du bien indivis ne bénéficie d’aucune créance contre l’indivision

Cass. civ. 1ere., 15 janv. 2025, n°23-13.116

Liquidation et partage de régime matrimonial

Enseignement de l'arrêt

La CSG et la CRDS, que chacun des indivisaires doit supporter sur la part lui revenant dans les revenus fonciers tirés du bien indivis, constituent des dettes personnelles et non des dettes de l’indivision. Ainsi, les indivisaires payeurs ne bénéficient d’aucune créance à l’encontre de l’indivision.
La valeur de biens objet d’un partage ne peut avoir autorité de la chose jugée que si elle fixe la date de la jouissance divise.

Rappel du contexte

La contribution sociale généralisée (CGS)

La contribution sociale généralisée (dite CGS), est un prélèvement social prévu par le chapitre 6 du code de la sécurité sociale.

Il est institué deux types de CSG : 

  • une contribution sociale sur les revenus d’activité et sur les revenus de remplacement (articles L136-1 à L136-5 du code de la sécurité sociale)
  • une contribution sociale sur les revenus du patrimoine (article L136-6 à L-136-6-1 du code de la sécurité sociale)

S’agissant de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, l’article L136-6 du code de la sécurité sociale indique :

« I.-Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l’établissement de l’impôt sur le revenu, à l’exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 :
a) Des revenus fonciers ; […] »

Cette contribution est donc afférente aux revenus de la personne qui y est assujettie.

La contribution sociale sur les revenus d’activité et sur les revenus de remplacement (CRDS)

En outre, la contribution sociale sur les revenus d’activité et sur les revenus de remplacement (dite CRDS) est également un prélèvement social, prévu par l’ordonnance n°96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.

A ce titre, l’article 15 de cette ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 prévoit que :

« Il est institué une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine désignés aux I et I bis de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus par les personnes redevables de la contribution prévue au même article L. 136-6. »

Ainsi, l’assiette de la CRDS est constituée des mêmes revenus du patrimoine que ceux sur lesquels est assise la CSG. Les revenus fonciers sont donc assujettis à la CRDS.

Les dettes pour le compte de l’indivision

Lorsqu’un indivisaire perçoit des revenus ou expose des frais pour le compte de l’indivision, un compte est établi à destination de l’ensemble des indivisaires.

En effet, à ce titre, l’article 815-8 du code civil dispose que :

« Quiconque perçoit des revenus ou expose des frais pour le compte de l’indivision doit en tenir un état qui est à la disposition des indivisaires. »

Ainsi, lorsqu’un indivisaire a perçu des fruits dans le cadre de l’indivision au-delà de sa quote-part, il est débiteur envers l’indivision du trop-perçu.

De même, lorsqu’un indivisaire règle des charges afférentes à l’indivision au-delà de sa quote-part dans l’indivision, il détient une créance à l’égard de l’indivision à hauteur de ce montant.

En revanche, lorsque les charges payées sont personnelles aux autres indivisaires, l’indivisaire payeur ne détient aucune créance à l’égard de l’indivision.

Lors de la liquidation, afin de déterminer les droits de chacun dans le cadre du partage, il convient de prendre en considération les dettes et créances que les indivisaires détiennent à l’égard : 

  • de l’indivision,
  • des autres indivisaires directement.

L’autorité de la chose jugée

L’autorité de la chose jugée est l’effet attaché à un jugement empêchant de soumettre de nouveau à un juge des prétentions qui auraient d’ores et déjà été soumises et tranchées par un juge.

L’autorité de chose jugée est prévue par l’article 1355 du code civil qui dispose que :

« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Cette notion est également précisée par le code de procédure civile.

En effet, l’article 480 du code de procédure civile dispose que :

« Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. 

Le principal s’entend de l’objet du litige tel qu’il est déterminé par l’article 4. »

L’autorité de la chose jugée nécessite la réunion de trois conditions en application de ces articles :

  • Une identité d’objet : la chose demandée au juge doit être identique étant précisé qu’il convient de se référer à ce qui a été tranché dans le dispositif du jugement ;
  • Une identité de cause : la chose demandée doit être fondée sur la même cause ;
  • Une identité de parties : la demande doit concerner les mêmes parties prises en la même qualité que la première demande.

En présence de demande identique, fondée sur la même cause et entre les mêmes parties, une nouvelle demande sera déclarée irrecevable en application de l’article 122 du code de procédure civile.

En effet, en vertu de l’article 122 du code de procédure civile :

« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

Apport de l’arrêt

Rappel des faits

Un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 2 juillet 2002 prononce le divorce de deux époux, mariés sans contrat préalable.

Des difficultés surviennent ensuite entre les époux s’agissant de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux. En raison de leurs désaccords, le juge aux affaires familiales est saisi afin de trancher les difficultés relatives au partage. Ce dernier, dans un jugement du 1er juin 2011, fixe notamment la valeur de deux immeubles relevant de l’indivision. L’une des parties interjette appel et la Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 13 novembre 2012 et infirme partiellement le jugement s’agissant des comptes d’indivision.

L’épouse forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Ce pourvoi est rejeté.

Un notaire est ensuite logiquement désigné afin d’établir un acte liquidatif. A défaut d’accord entre les parties, cet acte liquidatif est dressé en même temps qu’un procès-verbal de difficultés.

L’ex-époux assigne sa coindivisaire aux fins d’homologation de l’acte liquidatif devant le juge aux affaire familiales d’Angoulême qui fait droit à la demande.

L’ex-épouse interjette appel puis, déboutée par la cour d’appel de Bordeaux, se pourvoit alors en cassation.

Elle reproche à la Cour d’appel d’avoir refusé d’examiner sa demande de réévaluation des deux immeubles dépendant de l’indivision, au motif que cette question avait été tranchée définitivement par le jugement du 1er juin 2011 confirmé en appel. Elle fait grief à la Cour d’appel d’avoir jugé ainsi alors que cette décision n’avait pas fixé la date de jouissance divise, date fixée seulement par l’arrêt d’appel. La requérante soutient ainsi que ces décisions antérieures étaient dépourvues de l’autorité de la chose jugée relativement à l’estimation des biens indivis.

En outre, elle reproche à la Cour d’appel d’avoir jugé que la CSG et la CRDS afférentes aux revenus fonciers du biens indivis sont une charge de la propriété devant incomber à titre définitif à l’indivision. La Cour d’appel a ainsi jugé que l’indivisaire (Monsieur) ayant réglé la CSG et la CRDS disposait d’une créance contre l’indivision. Madame fait donc grief à l’arrêt d’avoir jugé ainsi, alors que ces contributions constituent des dettes personnelles.

Ainsi, les deux questions suivantes étaient posées à la Cour de cassation :

  • une décision fixant la valeur de biens indivis sans fixer la date de jouissance divise dispose-t-elle de l’autorité de la chose jugée relativement à la fixation de la valeur des biens ?
  • le paiement de CSG et la CRDS par un indivisaire fait-il naître une créance à l’égard de l’indivision ou bien constitue-t-il une dette personnelle à la charge de l’indivisaire ?

Position de la Cour de cassation

Sur l’autorité de la chose jugée d’un jugement fixant la valeur des biens indivis sans fixer la date de jouissance divise

Dans un arrêt du 15 janvier 2025, la Première chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux en ce qu’elle a jugé que la demande de Madame visant à voir réévaluer les biens indivis était irrecevable puisqu’elle avait été fixée définitivement par le jugement du 1er juin 2011, confirmé en appel, et que de ce fait, l’autorité de la chose jugée interdisait tout nouvel examen de cette question.

Au visa de l’article 1351 du code civil et du principe de l’égalité dans les partages, la Cour de cassation rappelle que l’autorité de la chose jugée ne peut être attachée à une décision qui estime la valeur des biens objets du partage que si elle fixe la date de la jouissance divise dans le même temps.

Ainsi, dès lors que le jugement de 2011 ne fixait pas la date de la jouissance divise, il n’avait pas autorité de chose jugée sur la question de l’évaluation des biens indivis, et les demandes de Madame étaient donc recevables.

Sur la nature personnelle de la dette de paiement de la CSG et de la CRDS afférentes aux revenus fonciers de biens indivis

La Première chambre civile de la Cour de cassation casse également l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux, en ce qu’elle a jugé que la CSG et la CRDS afférentes aux revenus fonciers de biens indivis sont, comme l’impôt foncier, une charge de la propriété devant incomber à titre définitif à l’indivision, et que de ce fait, l’ex-époux disposait d’une créance contre celle-ci.

Elle rend sa décision au visa des articles 815-8 du code civil, L. 136-6 du code de la sécurité sociale et 15 de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.

Elle rappelle qu’au titre de l’article 815-8 du code civil, quiconque perçoit des revenus ou expose des frais pour le compte de l’indivision doit en tenir un état qui est à la disposition des indivisaires.

Ensuite, elle rappelle que la CSG et la CRDS sont deux contributions afférentes à des revenus, qu’elles sont assises, contrôlées et recouvrées selon les mêmes règles que l’impôt sur le revenu, et que l’assujettissement à ces contributions dépend de certaines conditions tenant à la personne qui perçoit ces revenus.

Ainsi, elle ajoute que la CSG et la CRDS, supportées par chacun des co-partageants sur la part des revenus lui revenant dans les revenus fonciers tirés du bien indivis constituent des dettes personnelles et non des dettes de l’indivision.

Elle juge alors que la Cour d’appel a violé ces articles en jugeant que l’ex-époux disposait d’une créance à l’encontre de l’indivision en raison du règlement de la CSG et de la CRDS sur les revenus fonciers du biens indivis lui revenant.

Le paiement de ces contributions ne doit donc pas être mentionné sur l’état prévu à l’article 815-8 du Code civil.