Jurisprudences
Recevabilité de l’action dirigée contre la mère au titre de la contribution à l’entretien et l’éducation versée directement à l’enfant par le père
Cass. Civ. 1ère, 3 juill. 2024, n°22-17.808
Enfants - Autorité parentale (résidence, pensions, etc.)
Enseignement de l'arrêt
L’action en contestation des sommes versées directement à l’enfant majeur au titre de la contribution à son entretien et son éducation, formées par le père débiteur à l’encontre de la mère de l’enfant est recevable dès lors que le jugement avait été rendu de la mère.
Rappel du contexte
La contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants
L’une des composantes de l’autorité parentale consiste en l’obligation de contribution à l’entretien et l’éducation des enfants.
Cette obligation parentale est fixée par l’article 371-2 du code civil qui dispose que :
« Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l’autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l’enfant est majeur. »
Ainsi, il appartient aux parents d’assumer l’entretien et l’éducation de ses enfants. Cette obligation est évidemment maintenue en cas de séparation des parents.
A ce titre, l’article 372-2-2 du code civil, en son alinéa 1er, prévoit que :
« En cas de séparation entre les parents, ou entre ceux-ci et l’enfant, la contribution à son entretien et à son éducation prend la forme d’une pension alimentaire versée, selon le cas, par l’un des parents à l’autre, ou à la personne à laquelle l’enfant a été confié. »
Afin d’assurer l’exécution de cette obligation, une action est ouverte par le parent qui assume la charge principale des enfants, à l’encontre de l’autre parent. La loi prévoit que les modalités de versement peuvent être aménagées par le juge, qui peut prévoir que cette contribution sera versée directement entre les mains de l’enfant, notamment en cas de majorité du/des enfant(s).
En effet, l’article 373-2-5 du code civil prévoit que :
« Le parent qui assume à titre principal la charge d’un enfant majeur qui ne peut lui-même subvenir à ses besoins peut demander à l’autre parent de lui verser une contribution à son entretien et à son éducation. Le juge peut décider ou les parents convenir que cette contribution sera versée en tout ou partie entre les mains de l’enfant. »
Action en répétition de l’indu
L’action en répétition de l’indu est une action ouverte au bénéfice d’une personne qui a versé une somme, le solvens, qui n’était pas due, à l’encontre de la personne ayant reçu le paiement, l’accipiens.
Le principe et son application sont posés par les articles 1302 et 1302-1 du code civil.
Article 1302 du code civil :
« Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. »
Article 1302-1 du code civil :
« Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. »
Un paiement est par exemple considéré comme indu en présence d’un paiement effectué en vertu d’un jugement, qui aurait ensuite été annulé ou réformé (Cour de cassation civile, Chambre sociale, 19 octobre 2017, n° 16-11.617).
En outre, la jurisprudence a précisé que l’erreur ou la négligence commise par le solvens ne fait pas obstacle à l’action en répétition de l’indu, dès lors que la condition d’inexistence de la dette est remplie (Cour de Cassation, Chambre civile 1re, 27 févr. 1996, no 94-12.64).
La bonne foi de l’accipiens ne fait pas non plus obstacle à cette action (Cour de cassation civile, Chambre sociale, 8 juin 1983 : Bulletin. civil V, n°310).
S’agissant de la personne du défendeur à l’action en répétition de l’indu, la jurisprudence a posé le principe selon lequel le solvens dispose d’une option. Il peut agir :
- soit contre celui qui a reçu le paiement,
- soit contre celui pour le compte duquel il a été reçu
(Cour de cassation civile, Chambre sociale, 6 mai 1993, no 91-17.132)
Apport de l’arrêt
Rappel des faits
Une mère saisit le juge aux affaires familiale afin de voir fixer une contribution à l’entretien et l’éducation de son fils à la charge du père.
Par jugement du 10 octobre 2016, une contribution mise à la charge du père pour l’entretien et l’éducation de son fils est fixée à la somme de 175 euros par mois. Il est prévu par le jugement que cette somme sera versée directement entre les mains du fils majeur.
Par requête en date du 20 août 2019, le père saisit le juge aux affaires familiales afin de voir supprimer sa contribution, avec rétroactivité au 4 juin 2016, et afin de voir restituer par la mère des sommes indûment versées, sur le fondement de l’action en répétition de l’indu.
Par un arrêt rendu le 25 mars 2022, la cour d’appel de Montpellier rejette la demande en remboursement formée par le père contre la mère, la jugeant irrecevable, les sommes ayant été versées directement à l’enfant majeur.
Le père se pourvoit en cassation.
Il fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande au motif que l’action en répétition de l’indu exercée par le père contre la mère est recevable s’agissant des sommes directement versées à l’enfant majeur au titre de l’obligation alimentaire, dès lors que ce dernier les a reçues pour le compte de la mère.
Ainsi la question soumise à la Cour de cassation est la suivante : l’action exercée par le père contre la mère en restitution des sommes versées directement à leur fils majeur au titre de la contribution à l’éducation et à l’entretien est-elle recevable ?
Position de la Cour de cassation
Dans un arrêt en date du 3 juillet 2024, la Première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier.
Au visa des articles 371-2, 373-2-5 et 1302-1 du code civil et après avoir rappelé les dispositions des deux premiers articles qui posent le principe de l’obligation de contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, ainsi que l’existence d’une action ouverte à l’un des parents contre l’autre afin de voir fixer une telle contribution, elle rappelle qu’aux termes de l’article 1302-1 du code civil, « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ».
Elle juge sur ces bases que la cour d’appel a violé les articles susvisés en retenant que l’action formée par le père contre la mère était irrecevable au motif que le père avait été condamné à verser la pension à son fils et non à la mère, et qu’il lui appartenait donc d’attraire ce dernier à la procédure afin de lui demander le remboursement des sommes versées.
En effet, elle juge que seule la mère bénéficiait du titre constitué par le jugement fixant le principe et le montant de la pension mise à la charge du père. Ainsi, son fils majeur ne recevait directement entre ses mains cette pension de la part de son père que pour le compte de sa mère. En conséquence, le père était recevable à demander à la mère les sommes prétendument indument versées.
Le père débiteur de l’obligation de paiement d’une somme au titre de contribution à l’entretien et l’éducation de son fils pouvait donc agir contre cette dernière, en conformité avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui ouvre au solvens une option : il peut agir soit contre celui qui a reçu le paiement soit contre celui pour le compte duquel il a été effectué.
Cette position confirme la jurisprudence rendue par les juges du fond s’agissant de la recevabilité de l’action par le parent solvens à l’encontre de l’autre parent en présence d’une pension au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants versée directement entre les mains de l’enfant (par exemple : CA de Paris, 5 avril 2012, n°09/17415). Cette solution peut cependant sembler défavorable au parent créancier qui n’a pas reçu directement les fonds mais qui doit reverser les sommes payées par le parent solvens directement à leur enfant.