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Droit de la famille

Divorce – Droit international privé : La date de saisine de la juridiction étrangère en cas de conflit de juridiction

Cass. civ. 1ere, 15 janv. 2025, n°22-22.336

Divorce – Séparation de corps

Enseignement de l'arrêt

Dans le cadre d’une exception de litispendance, la régularité d’un acte introductif d’instance devant la juridiction d’un État membre, est examiné au regard du droit procédural de cet état membre.

L’exception de litispendance

On parle de « conflit de juridiction » lorsque deux juridictions compétentes sont saisies d’un même litige. Dans ce cas, il est possible de soulever une exception de litispendance, in lime litis, afin que la dernière juridiction saisie suspende sa procédure au profit de la première juridiction saisie. 

Cette procédure permet d’éviter que deux juridictions rendent une décision différente pour un même litige, créant ainsi des difficultés d’exécution.

L’article 100 du Code de procédure civile prévoit trois conditions pour reconnaitre la litispendance :

  • une identité de litige c’est-à-dire une similarité des parties, de l’objet et du fondement de la demande, 
  • un litige pendant devant deux juridictions distinctes. Il faut donc qu’une seconde instance soit engagée, 
  • les juridictions saisies doivent être également compétentes pour connaître du litige.  

Pour permettre une meilleure circulation des décisions au sein de l’union européenne, la question de la litispendance est traitée par les différents règlements européens. Dans le cas d’une demande de divorce, l’article 19 du règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2023 est plus spécialement appliqué. 

Cet article prévoit qu’en cas de demande de divorce devant deux juridictions d’États membres différents, c’est la juridiction saisie en second qui doit d’office surseoir à statuer le temps que la compétence de la juridiction saisie en premier soit établie. La seconde juridiction se dessaisit alors en faveur de la première juridiction.

Le moment de la saisine des juridictions est donc fondamental pour déterminer la hiérarchie chronologique recherchée par la litispendance. Cette question est réglée par l’article 16 de ce règlement mais pose encore certaines difficultés d’application comme l’illustre la décision de la Cour de cassation du 15 janvier 2025.

Apport de l’arrêt

Reprise des faits et de la procédure

Des époux se marient le 13 août 2016 en Pologne. L’épouse, de nationalité polonaise dépose une demande en divorce le 4 janvier 2021, auprès du juge polonais. Plus tard, l’époux de nationalité française dépose lui aussi une demande en divorce, mais devant le juge français. 

L’épouse forme une exception de litispendance, qui est rejetée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 22 septembre 2022. La Cour d’appel considère qu’en application de l’article 16 du règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, la demanderesse a certes déposé sa demande en divorce auprès de la juridiction polonaise en premier, mais n’a pas démontré la matérialité de la signification ou de la notification de cette décision au demandeur.  Or, l’article 16 du règlement prévoit que la juridiction est réputée saisie à la date de l’acte introductif d’instance et « à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur ».

L’épouse forme un pourvoi et fait grief à l’arrêt de lui avoir reproché de ne pas établir la matérialité de la signification ou la notification auprès du défendeur de la demande en divorce  sans rechercher si en droit procédural polonais,  cette notification n’incombe pas à la juridiction saisie. L’épouse considère que la Cour ne peut exiger une formalité dont elle n’est pas tenue d’après le droit polonais. 

La Cour de cassation reprend les articles 16 et 19 du règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. En application de ces articles, elle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel qui n’a pas recherché si la notification ou la signification de la demande en divorce incombe à la demanderesse ou à la juridiction saisie.

Réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation précise ensuite l’application des articles 16 et 19 du règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, 

La Cour de Cassation rappelle que, d’après le règlement, la date de saisie de la juridiction (pour une demande en divorce international mais pas seulement) est celle de l’acte introductif d’instance déposé par la juridiction, « à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur. »

Ainsi, la juridiction est saisie à la date de réalisation de l’acte introductif d’instance uniquement s’il est régulièrement signifié ou notifié. La juridiction française qui examine une demande de litispendance, doit donc s’assurer que cette condition est remplie afin de déterminer la régularité de l’acte introductif d’instance et donc de la date de saisine de la juridiction étrangère. 

En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas recherché à qui incombait cette notification ou signification. Or, le droit procédural polonais prévoit que la notification d’une telle requête incombe à la juridiction saisie et non au demandeur. Ainsi, la Cour d’appel ne peut reprocher à la demanderesse de ne pas avoir procédé à cette notification alors qu’elle n’y était pas tenue d’après le droit polonais. 

C’est un rappel qu’en matière de litispendance, le juge français doit examiner le droit procédural national de l’État membre dont la juridiction est saisie afin de vérifier la régularité d’un acte introductif d’instance, et ainsi connaitre la date de saisine de cette juridiction étrangère. 

L’interprétation de la Cour d’appel peut s’expliquer par un réflexe issu du droit applicable avant la réforme du 23 mars 2019, n°2019-222. Désormais, dans le cadre d’une procédure de divorce, la juridiction française n’est plus saisie au moment du dépôt de la requête en divorce mais par une assignation qui doit être signifiée au défendeur avant d’être déposée auprès de la juridiction.